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la fabrique caressent ses enfans, s’attendrissent sur eux, ont parfois les larmes aux yeux.

La plupart des ménages ont un troupeau d’enfans, six, huit, jusqu’à douze. Ils n’évitent pas d’en avoir ; au contraire ils en sont contens : ceux qui meurent deviennent de petits anges dans le paradis, Pour les autres, la sécurité des parens est animale ; un ânier de Salerne qui en avait douze, et qu’on plaignait, répond qu’il espère en avoir encore quatre. Une orange coûte un centime ; avec une chemise, on est vêtu ; les trois quarts de l’année on peut coucher en plein air. — Ils se marient très jeunes. À vingt ans, même dans la classe bourgeoise, l’homme prend femme. On fait beaucoup de mariages d’inclination : les filles qui n’ont pas le sou trouvent des maris. On voit des gens du monde épouser des ouvrières ; une grisette italienne n’a pas de peine à paraître une dame.

Les gens du peuple sont très sobres, dînent avec du pain et un oignon. Un vieil ouvrier qui a fait de son fils un demi-monsieur ne mange qu’un grano de pain par jour (4 centimes). Ils travaillent tout le jour, parfois jusqu’à minuit, sauf la sieste de midi à trois heures. On voit des cordonniers en plein air tirer l’alène du matin au soir ; les chaudronniers, qui derrière le port occupent des rues entières, ne cessent jamais de battre. M. B… avait besoin de cinquante femmes pour égrener du coton ; deux cent cinquante firent irruption en passant par-dessus le corps du portier. Cependant ils font moins d’ouvrage que des ouvriers français, ou des Italiens du nord ; il faut un surveillant qui les maintienne à leur travail.

Ce sont des enfans brillans, évaporés, enthousiastes, sans équilibre, livrés à la nature. À l’état ordinaire, ils sont aimables et même doux ; mais dans les périls ou la colère, en temps de révolution ou de fanatisme, ils vont jusqu’au bout de la fureur ou de la folie.

A San-Carlo. Il Trovatore.

Il y a six rangs de loges, et la salle est magnifique, point trop éclairée, point éblouissante. Ils savent ménager les yeux, tous les sens ; les spectateurs ne sont point entassés comme chez nous à l’Opéra ou aux Italiens. Les couloirs sont larges, un pourtour vide permet de circuler autour du parterre ; les sièges sont élevés de plusieurs pieds, afin de donner de la fraîcheur.

En revanche, pour le reste c’est un théâtre de province, vieillot et médiocrement propre. Il n’y a presque pas de toilette, et cependant la Titiens chante, le prix est doublé. Les décorations, sauf la première, sont mesquines ; celles du ballet sont ridicules : l’enfer, entre autres, avec ses roches jaunes, semble un mobilier en velours d’Utrecht emprunté à un hôtel garni. Le ténor est un grotesque