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italienne, de montrer dans Gioberti une sorte de Hegel italien ; on voit que l’amour-propre et les préoccupations nationales pénètrent jusque dans la spéculation pure. Hier un journal louait un tableau italien moderne exposé au musée, se plaignant de ce que les Italiens n’admirent pas assez leurs artistes et commettent la faiblesse de trop estimer l’art étranger. Tout cela est naïf, mais sincère.

Les jeunes gens, le public, s’intéressent extrêmement à ces recherchée. Naples est la patrie de Vico, elle a toujours eu une aptitude philosophique. Dernièrement on se pressait à une exposition de la phénoménologie de Hegel. Ils traduisent sans difficulté les mots spéciaux, les abstractions. Dieu sait quelles abstractions ! Du centre, le système se répand dans les diverses branches. Les études de droit surtout sont, dit-on, très fortes, et tout à fait conduites à la manière allemande. Les étudians sont encore enfermés dans les formules et les classifications de Hegel ; mais les professeurs commencent à les dépasser, à chercher leur voie par eux-mêmes, chacun à sa façon, et suivant son genre d’esprit. Les idées sont encore vagues et flottantes ; rien n’est formé, tout se forme.

En attendant, on peut se demander si l’aliment qu’ils prennent est bien choisi, et si des esprits nouveaux peuvent s’assimiler une pareille nourriture ; c’est de la viande mal cuite et lourde ; ils s’en repaissent, avec leur appétit de jeune homme, comme les scolastiques du XIIe siècle ont dévoré Aristote, malgré la disproportion, avec danger de ne pas digérer et même d’étrangler. Un étranger fort instruit, qui vit ici depuis dix ans, me répond qu’ils comprennent naturellement le raisonnement le plus difficile et toutes les dissertations allemandes, mais les livres français beaucoup moins bien. Si on leur fait lire les romans de Voltaire, ils ne s’en amusent qu’à demi. Ils n’en sentent pas la grâce, ils ne voient dans son ironie qu’un moyen d’esquiver la censure. M. Renan, qu’ils admirent infiniment, leur semble timide : « Mais pourquoi prend-il tant de précautions ? C’est un restaurateur délicat du christianisme. » Son art achevé, son tact, son sentiment si poétique et si compréhensif leur échappent ; ils ont traduit son livre, ils en ont acheté à Naples dix mille exemplaires, ils considéraient comme un bonheur de voir et de toucher une lettre écrite de sa main ; mais ce qu’ils aiment en lui, c’est le combattant, ce n’est pas le critique. Voilà pourquoi ils ont fait un succès au Maudit ; on lit ce titre affiché sur toutes les boutiques de libraires. Cette grosse artillerie les réjouit. Ils demandent une vigoureuse attaque, une rude exposition défaits ; ils se vengent de leur ancien esclavage.

Point de bons journaux ; la mode des gazettes à un sou s’est établie, et la rédaction est à l’avenant. Ils sautent le matin sur les nouvelles