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ôtant leur voile, jouent sur la rive du fleuve, et parmi elles Nausicaa, « la vierge indomptée, plus grande qu’elles de toute la tête. » Puis ceci n’a plus suffi, et il m’a semblé que pour exprimer ce ciel, cette profondeur, blanche et lumineuse de l’air qui enveloppe et vivifie toutes choses, cette mer rayonnante et heureuse qui est son épouse, cette terre qui vient à leur rencontre, il fallait remonter jusqu’aux hymnes védiques, retrouver en eux, comme nos premiers parens, de vrais vivans, des vivans universels et simples, les dieux éternels et vagues que nous cessons de voir, occupés comme nous le sommes par le détail de notre petite vie, mais qui, en somme, subsistent seuls, nous postent, nous recouvrent et vivent entre eux comme autrefois, sans sentir les mouvemens imperfectibles, les grattages éphémères que notre civilisation fait sur leur sein.

Plusieurs journées à Herculanum et à Pompéi.

On voit passer devant soi des milliers et encore des milliers d’objets ; tout cela au retour s’agite dans la tête : comment retirer de ce chaos quelque impression dominante, quelque vue d’ensemble ?

Ce qui subsiste d’abord, c’est l’image de la ville grise et rougeâtre demi-ruinée et déserte, amas de pierres sur une colline de roches, avec ses files de murs épais et de dalles bleuâtres, tout cela blanchâtre dans l’air éblouissant de blancheur ; à l’entour, la mer, les montagnes et la perspective infinie.

Au sommet sont les temples, celui de la Justice, de Vénus, d’Auguste, de Mercure, l’édifice d’Eumachia, d’autres temples encore inachevés ; plus loin, et aussi sur une hauteur, celui de Neptune. Ils avaient ainsi tous leurs dieux à la cime, dans l’air pur qui était lui-même un dieu. Le forum et la curie sont à côté ; le beau lieu pour délibérer et pour faire les sacrifices ! On aperçoit dans le lointain les grandes lignes des montagnes vaporeuses, les têtes tranquilles des pins-parasols, puis à l’orient, sous la brume blonde pleine de soleil, les formes fines des arbres et la diversité des cultures. On se retourne, et sans effort d’imagination on reconstruit ces temples. Ces colonnes, ces chapiteaux corinthiens, cette ordonnance simple, ces pans d’azur découpés par les fûts de marbre, quelle impression un pareil spectacle contemplé dès l’enfance devait-il laisser dans l’âme ! Une cité alors était une vraie patrie, et non comme aujourd’hui une collection administrative d’hôtels garnis. Que m’importent à moi aujourd’hui Rouen ou Limoges ? J’y ai un logis dans un amas d’autres logis ; la vie vient de Paris ; Paris lui-même, qu’est-ce, sinon un autre amas de logis, dont la vie vient d’un bureau où il y a des cartons et des employés ? Les hommes d’ici faisaient de leur ville leur joyau et leur écrin ; l’image de leur acropole, avec