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portiques ! Dans le nord, ils ne sont qu’un hors-d’œuvre, une importation de pédans ; on n’en a que faire ; on ne se promène pas le soir en plein air, on n’a pas besoin d’abri contre le soleil, ni d’ouvertures pour recevoir la brise de la mer. Et surtout on n’y sent pas le besoin de lignes nettes et tranchées, de couleurs simples, en petit nombre, largement opposées. Il faut être sous le plein azur du ciel pour jouir du poli et de la blancheur des marbres. L’art est fait pour le pays. Dans la disposition heureuse où ce ciel lumineux et cet air frais mettent l’âme, on aime l’ornement, on est content de voir sous ses pieds des marbres colorés qui forment un dessin, d’apercevoir au bout de la galerie un grand médaillon richement sculpté, de contempler au sommet des portiques des statues demi-nues de beaux jeunes saints, une sainte finement drapée. Le christianisme devient pittoresque et aimable, il réjouit les yeux, il met l’âme dans une attitude riante et noble. Au bout de la galerie s’ouvrent des balcons sur la mer. De là paraît Naples, immensément étalée et prolongée jusqu’au Vésuve par une traînée de maisons blanches, à l’entour du golfe la côte qui se courbe, embrassant la mer toute bleue, et au-delà le miroitement d’or, le fourmillement lumineux des flots sous le soleil, qui a l’air d’une lampe suspendue dans la rondeur concave du ciel.

Au-dessous descend une longue pente d’oliviers d’un vert terne ; ce sont les jardins du couvent. Des allées ombragées de treilles s’allongent partout où le sol a pu être de niveau. Des plates-formes avec de grands arbres solitaires, des bâtisses massives qui enfoncent leurs assises dans le roc, une colonnade en ruine, en face le golfe entier, les petites voiles des navires, le Monte-San-Angelo, le Vésuve qui fume : le couvent est un petit monde fermé, mais complet, et combien de beautés dans son enceinte ! On est transporté à cent lieues de notre petite vie étriquée et bourgeoise. Ils sont tête nue, dans un froc brun ou blanc, avec de gros souliers ; mais la beauté les entoure, et je n’ai pas vu de palais de prince qui laisse une impression si noble. Le petit comfort manque, et à cause de cela tout le reste est relevé.

J’ai vu dernièrement une des plus riches et des plus élégantes maisons modernes, située comme celle-ci en face de la mer. Le maître est un homme de goût qui a gagné des millions, et qui jette l’argent. Tout est vernissé, et il n’y a rien de grand ; pas une colonnade, pas une haute salle d’apparat ; qu’en ferait-on ? Cela est agréable à habiter ; mais il n’y a pas un coin, ni dehors, ni au dedans, qu’un peintre eût envie de copier. Chaque objet pris en soi est une merveille de raffinement et de commodité ; il y a six boutons de sonnettes auprès du lit ; les stores sont admirables ; rien de plus doux que les fauteuils. On aperçoit, comme dans les maisons