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teinte, dans le vague violet de leur robe nocturne. Le Môle, la forêt des barques, par leur noirceur profonde, les rendaient encore plus charmantes, et Chiaja, vers la droite, arrondissant autour du golfe sa ceinture de maisons illuminées, lui faisait une guirlande de flammes.

De toutes parts les fanaux brillent ; les gens, en plein air, causent haut, rient et mangent. Ce ciel à lui seul est une fête.

A travers Naples et au hasard dans les rues.

Quelles rues on traverse ! Hautes, étroites, sales, bordées à tous les étages de balcons qui surplombent, une fourmilière de petites boutiques, d’échoppes en plein vent, d’hommes et de femmes qui achètent, vendent, bavardent, gesticulent, se coudoient, la plupart rabougris et laids, les femmes surtout petites et camardes, la face jaune et les yeux brillans, malpropres et fripées, avec des châles à ramages et des fichus violets, rouges, orangés, toujours de couleur voyante, et des bijoux de cuivre. Aux environs de la piazza del Mercato s’enchevêtre un labyrinthe de ruelles dallées et tortueuses, encrassées de poussière ancienne, jonchées d’écorces d’oranges et de pastèques, de restes de légumes, de débris sans nom ; la foule s’entasse, noire et grouillante, dans l’ombre palpable, au-dessous de la bande claire du ciel. Tout cela remue, mange, boit, sent mauvais ; on dirait des rats dans une ratière : c’est l’air épais, la vie débraillée et abandonnée des lanes de Londres. Par bonheur, ici le climat est favorable aux galetas et aux guenilles.

Parfois, au milieu de ces taudis, s’élève l’encoignure énorme, la porte monumentale d’un ancien hôtel ; on aperçoit par une ouverture de larges escaliers à balustres qui montent et s’entre-croisent, des terrasses intérieures soutenues par une colonnade, les restes de la vie murée et grandiose telle qu’elle apparut sous la domination espagnole. Les seigneurs habitaient là avec leurs gentilshommes, leurs domestiques armés, leurs carrosses, quêtant des pensions, donnant des fêtes, assistant aux cérémonies, seuls apparens, seuls importans, pendant que dans les ruelles la canaille des marchands et des artisans regardait leurs somptueuses parades, elle-même aussi dédaignée et aussi piteuse que jadis le troupeau des serfs tolérés autour du donjon féodal.

Quantités de moines trottent dans la boue avec des sandales ou des souliers sans bas ; plusieurs ont une tête narquoise et bouffonne, comme d’un Socrate croisé de Polichinelle ; la plupart sont vraiment peuple : ils pataugent dans leur vieux froc râpé, et marchent des épaules avec une allure de cocher. Un d’eux se penchait, accoudé à un balcon, pour nous mieux voir, charnu, pansu, joufflu, gros frocard avisé comme en peint Rabelais, bien étalé dans son