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une garantie de conservation. On conçoit en effet qu’il ne soit point facile de changer ni de créer en un jour ces organismes politiques qui embrassent depuis la moindre commune jusqu’à l’ensemble de la confédération ; ce n’est point chose aisée que de former ni de remplir des cadres aussi étendus. Le parti démocratique, qui a occupé le pouvoir depuis Jefferson jusqu’à l’avènement de M. Lincoln, conserve encore aujourd’hui une large part de la puissance qu’il avait acquise pendant cette longue période. Le parti républicain actuel n’est pas né en 1860, il n’est que la transformation dernière de l’ancien parti whig, qui, à travers beaucoup de vicissitudes, n’a jamais entièrement perdu de vue deux objets : la consolidation du pouvoir exécutif et la limitation, sinon l’abolition de l’esclavage. Les traditions politiques ne pourraient se transmettre de génération en génération dans une démocratie sans ces grands gouvernemens d’opinion qui règnent dans le pacifique domaine des idées.

Dans les pays où le corps électoral est peu nombreux et où il existe des classes privilégiées, la communauté des intérêts impose en quelque sorte d’elle-même l’unité, la logique à l’action politique ; mais aux États-Unis, où le suffrage est universel, où la division des classes est à peine marquée, où règne l’égalité la plus parfaite en même temps que la plus complète liberté, le corps électoral, s’il n’était guidé par les traditions des partis, deviendrait je ne sais quelle poussière sans consistance, emportée au gré des courans les plus capricieux. Dans une telle société, on n’aperçoit rien, en dehors de l’action morale des partis, toujours vigilans et toujours actifs, qui puisse servir de défense ou contre l’anarchie ou contre le despotisme. Il est singulier d’ailleurs de voir combien l’esprit de parti perd de son aigreur et de sa vivacité quand il trouve chaque jour une occasion de se manifester, quand il se mêle à toutes les relations de la vie publique, quand il n’a pas besoin d’attendre, pour faire preuve de son ardeur, des occasions rares et solennelles. L’élection présidentielle, qui se renouvelle tous les quatre ans, agite, il est vrai, le pays jusque dans ses profondeurs ; mais cette émotion ne s’exprime pas autrement que les émotions ordinaires et locales, qui n’ont pour théâtre que l’état, la ville et la commune. Personne ne s’en effraie ; on n’y voit rien que de naturel, et les règles de ces grands duels des partis sont toutes tracées d’avance.

Si l’organisation des partis aux États-Unis doit être considérée comme une nécessité politique et comme une garantie d’ordre et de stabilité, elle a pourtant aussi quelques inconvéniens. On peut lui reprocher par exemple d’avoir faussé les élections présidentielles en