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des eaux ? Dans l’ensemble des ouvrages légués au monde moderne par l’antiquité, on ne trouve que deux phrases se rapportant d’une manière indirecte à cet ordre de faits merveilleux. Élien le compilateur parle de la lueur émise par des algues des plages, et Pline l’encyclopédiste nous apprend que le corps d’une espèce de méduse jette un certain éclat lorsqu’on le frotte contre un morceau de bois. C’est là qu’en était la science avant les observations d’Améric Vespuce sur la phosphorescence des mers tropicales. Depuis cette époque, il n’est probablement pas un seul voyageur qui n’ait remarqué les gerbes de lumière jaillissant la nuit autour de son navire, non-seulement dans la mer des Antilles, mais également dans la Méditerranée, sur les côtes atlantiques de l’Europe et près des banquises de l’Océan polaire. Ainsi que l’ont établi les recherches de Boyle, de Forster, de Tilesius, d’Ehrenberg, cette lumière provient d’innombrables animalcules, les uns vivans, les autres en décomposition. Or la destruction des cétacés, des grands poissons et des autres monstres de la mer ayant pour résultat nécessaire d’accroître en proportion le pullulement des organismes microscopiques, il s’ensuivrait que la phosphorescence des eaux marines s’est accrue en même temps que le nombre des infusoires. Si l’hypothèse ingénieuse de M. Marsh est une vérité, ceux d’entre nous qui se promènent sur les plages ou qui voguent sur les mers pendant certaines nuits où la vague est en feu jouissent d’un spectacle qu’il n’a jamais été donné à nos pères de contempler. Ce serait là une faible compensation aux ravages accomplis par les pêcheurs.

Quoi qu’il en soit de cet accroissement présumé dans la splendeur des mers, l’homme n’a point le droit de s’en vanter, car s’il est, grâce à la pêche, la cause indirecte de ce phénomène, c’est bien sans qu’il en ait eu la moindre conscience. À la surface des eaux de même que sur les continens, il n’agissait jadis qu’en vue de ses intérêts immédiats et s’abandonnait au hasard pour tous les résultats lointains. Parmi ses entreprises, les unes avaient des suites heureuses et contribuaient au bien-être général ; d’autres au contraire, telles que le déboisement des montagnes, devaient entraîner des conséquences fatales ; mais sans se préoccuper de l’avenir il continuait de travailler au jour le jour. Actuellement l’humanité, représentée par ses initiateurs scientifiques, commence à se rendre compte de ses œuvres. Instruite par l’expérience du passé, elle entreprend la lutte contre les forces de la nature qu’elle a déchaînées elle-même, et sur plusieurs points les désastres survenus par la faute de nos ancêtres sont déjà réparés. En outre des groupes d’individus et même des peuples entiers, non contens de rétablir l’ancien équilibre sur la surface terrestre, travaillent aussi avec succès à la transformation utile et à l’embellissement de vastes étendues qui semblaient autrefois sans valeur.

Pendant les derniers siècles, d’heureux changemens apportés à la géographie physique de plusieurs contrées ont témoigné de ce que peut faire la volonté persévérante de l’homme. En première ligne, on doit citer les