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d’après Absjörnsen, environ quinze jours plus tard que ceux du siècle dernier. Aux États-Unis, les défrichemens considérables des versans alléghaniens semblent avoir eu pour résultat de rendre la température plus inconstante et défaire empiéter l’automne sur l’hiver et cette dernière saison sur le printemps. On peut dire d’une manière générale que les forêts, comparables à la mer sous ce rapport, atténuent les différences naturelles de température entre les diverses saisons, tandis que le déboisement écarte les extrêmes de froidure et de chaleur et donne une plus grande violence aux courans atmosphériques. Si l’on en croit quelques auteurs, le mistral lui-même, ce vent terrible qui descend des Cévennes pour désoler la Provence, serait un fléau de création humaine, et soufflerait seulement depuis que les forêts des montagnes voisines ont disparu. De même les fièvres paludéennes et d’autres maladies endémiques ont souvent fait irruption dans un district lorsque des bois ou de simples rideaux d’arbres protecteurs sont tombés sous la hache. Ce sont là des faits que M. Marsh discute très longuement et avec une grande érudition.

C’est encore par une rupture de l’harmonie première que l’action de l’homme s’est fait sentir dans la flore de notre planète. Les colosses de nos forêts deviennent de plus en plus rares, et quand ils tombent, ils ne sont point remplacés. Aux États-Unis et au Canada, les grands arbres qui firent l’étonnement des premiers colons ont été abattus pour la plupart, et récemment encore les pionniers californiens ont renversé, pour les débiter en planches, ces gigantesques séquoias qui se dressaient à 120, 130 et 140 mètres de hauteur. C’est là une perte irréparable peut-être, car la nature a besoin de centaines et de milliers d’années pour fournir la sève nécessaire à ces plantes énormes, et l’humanité, trop impatiente de jouir, trop indifférente au sort des générations futures, n’a pas encore assez le sentiment de sa durée pour qu’elle songe à conserver précieusement la beauté de la terre. L’extension du domaine agricole, les besoins de la navigation et de l’industrie, ont pour conséquence de réduire aussi le nombre des arbres de moyenne grandeur. Actuellement, c’est par millions qu’ils diminuent chaque année[1]. En revanche, les plantes herbacées se multiplient et couvrent des espaces de plus en plus vastes dans tous les pays du monde. On dirait que l’homme, jaloux de la nature, cherche à rapetisser les produits du sol et ne leur permet pas de dépasser son niveau.

L’histoire de l’humanité dans ses rapports avec la faune offre une série de faits analogues. Il est probable que la disparition du mammouth de Sibérie,

  1. Sans parler ici de l’énorme consommation de bois que font tous les ans les charpentiers de maisons, les constructeurs de navires et les ingénieurs des chemins de fer, il suffira de citer les petites industries. Des forêts entières, s’étendant sur plusieurs centaines d’hectares, ont été abattues pour être transformées en allumettes. D’après Rentzsch, la petite ville de Sonneberg exporte tous les ans 3,000 tonnes de joujoux en bois de sapin. Enfin, durant les deux premières années de la guerre d’Amérique, une seule manufacture européenne a fait couper 28,000 noyers pour la fabrication des baguettes de fusil.