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territoires nouvellement boisés ; toutefois nos registres météorologiques ne sont pas encore tenus depuis un assez grand nombre d’années pour qu’il soit possible d’établir ce fait d’une manière indubitable. Ce qui est certain, c’est que les déboisemens troublent l’harmonie de la nature en rendant l’écoulement des eaux plus inégal. La pluie, que les branches entremêlées des arbres laissaient tomber goutte à goutte et qui suintait lentement à travers les feuilles mortes et le chevelu des racines, s’écoule désormais avec rapidité sur le sol pour former des ruisselets temporaires ; au lieu de descendre souterrainement vers les bas-fonds et de surgir en fontaines fertilisantes, elle glisse aussitôt à la surface et va se perdre dans les rivières et dans les fleuves. Tandis que la terre se dessèche en amont, le volume des eaux courantes augmente en aval, les crues se changent en inondations et dévastent les campagnes riveraines, d’immenses désastres s’accomplissent, pareils à ceux que causèrent la Loire et le Rhône en 1856. La responsabilité directe de l’homme est grande dans ces catastrophes, et l’on peut affirmer qu’elles seraient prévenues ou du moins atténuées en grande partie par le maintien des forêts existantes et par le reboisement. D’autres causes, dont les travaux de l’homme sont également responsables, contribuent au gonflement démesuré des crues annuelles. Ainsi les digues latérales, que les ingénieurs construisent afin de protéger les campagnes riveraines, sont trop souvent disposées de manière à contrarier le mouvement des eaux, et la plupart de ces levées ne laissent aux flots de crue qu’un espace insuffisant. En certains endroits, la Loire, dont les débordemens sont si terribles, n’offre plus entre ses digues que le dixième de son ancienne largeur. Les opérations de drainage, excellentes pour entretenir la fertilité des champs, ont aussi le résultat fâcheux d’augmenter la hauteur annuelle des crues. Entrepris sur une grande échelle, ces travaux produisent des effets comparables à ceux du déboisement, car le sol est ainsi débarrassé rapidement jusque dans ses profondeurs de toute l’eau qu’il reçoit, et les rivières sont déjà gonflées quelques minutes après la chute des averses. En Angleterre et en Écosse, un grand nombre de cours d’eau qui ne débordaient point autrefois sont devenus redoutables par leurs inondations depuis que les champs des bassins tributaires ont été systématiquement drainés.

L’homme, qui par ses travaux peut ainsi troubler l’économie des rivières, dérange-également l’harmonie des climats. Sans mentionner l’influence toute locale que les villes exercent en élevant la température et malheureusement aussi en viciant l’atmosphère, il est certain que la destruction des forêts et la mise en culture de vastes étendues ont pour conséquence des modifications appréciables dans les diverses saisons. Par ce fait seul que le pionnier défriche un sol vierge, il change le réseau des lignes de température, isothère, isochimène, isotherme, qui passent à travers la contrée. Dans plusieurs districts de la Suède dont les forêts ont été récemment coupées, les printemps de la période actuelle commenceraient,