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DE L'ACTION HUMAINE SUR LA GEOGRAPHIE PHYSIQUE

L’HOMME ET LA NATURE[1].

Comme le vieil Adam pétri d’argile, et comme les premiers Égyptiens nés du limon, nous sommes les fils de la terre. C’est d’elle que nous tirons notre substance ; elle nous entretient de ses sucs nourriciers et fournit l’air à nos poumons ; au point de vue matériel, elle nous donne « la vie, le mouvement et l’être. » Quelle que soit la liberté relative conquise par notre intelligence et notre volonté propres, nous n’en restons pas moins des produits de la planète : attachés à sa surface comme d’imperceptibles animalcules, nous sommes emportés dans tous ses mouvemens et nous dépendons de toutes ses lois. Et ce n’est point seulement en qualité d’individus isolés que nous appartenons à la terre, les sociétés, prises dans leur ensemble, ont dû nécessairement se mouler à leur origine sur le sol qui les portait ; elles ont dû refléter dans leur organisation intime les innombrables phénomènes du relief continental, des eaux fluviales et maritimes, de l’atmosphère ambiante, Tous les faits de l’histoire s’expliquent en grande partie par la disposition du théâtre géographique sur lequel ils se sont produits : on peut même dire que le développement de l’humanité était inscrit d’avance en caractères grandioses sur les plateaux, les vallées et les rivages de nos continens. Ces vérités sont d’ailleurs devenues presque banales depuis que les Humboldt, les Ritter, les Guyot, ont établi par leurs travaux la solidarité de la terre et de l’homme. L’idée-mère qui inspirait l’illustre auteur de l’Erdkunde lorsqu’il rédigeait à lui seul sa grande encyclopédie, le plus beau monument géographique des siècles, c’est que la terre est le corps de l’humanité, et que l’homme, à son tour, est l’âme de la terre.

À mesure que les peuples se sont développés en intelligence et en liberté, ils ont appris à réagir sur cette nature extérieure dont ils subissaient passivement l’influence ; devenus, par la force de l’association, de véritables agens géologiques, ils ont transformé de diverses manières la surface des continens, changé l’économie des eaux courantes, modifié les climats eux-mêmes. Parmi les œuvres que des animaux d’un ordre inférieur ont accomplies sur la terre, les îlots des madrépores et des coraux peuvent, il est vrai, se comparer aux travaux de l’homme par leur étendue ; mais ces constructions gigantesques n’ajoutent pas un trait nouveau à la physionomie générale du globe et se poursuivent d’une manière uniforme, fatale pour ainsi dire, comme si elles étaient produites par les forces inconscientes de la nature.

  1. Man and Nature, or Physical geography as modified by human action, by George P. Marsh. London, Sampson Low, 1864.