Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/759

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

classes dont le patriotisme a ses racines dans le sol que M. Lincoln a recruté la masse de ses adhérens ; Les états de l’ouest ont voté pour lui. Dans le grand état de New-York, la ville, avec sa population flottante, avec la foule de ses spéculateurs fiévreux, avec son mob sans cesse recruté par les émigrans, a donné une majorité de 37,000 voix contre M. Lincoln ; mais dans l’ensemble de l’état de New-York la population vraiment autochthone des fermiers a victorieusement rétabli l’équilibre : elle a fait passer par 9,000 voix de majorité le ticket républicain et a renversé du même coup le fameux gouverneur démocrate, le promoteur ardent de la plateforme de Chicago, M. Horatio Seymour.

Choix du président, manifestation énergique d’une majorité décidée, composition même de cette majorité, tout concourt à donner à la dernière élection présidentielle la signification et le caractère réclamés par la gravité des circonstances et la grandeur de l’enjeu pour lequel on combat en Amérique. Le peuple américain a su éviter dans cette salutaire épreuve les pièges que, d’après les adversaires européens de la démocratie et de la liberté, il devait rencontrer dans sa propre constitution. Guidé par un infaillible instinct patriotique, le peuple américain a voulu affirmer avant tout, dans cette élection, l’unité, l’identité et les droits souverains de sa vie nationale. Il importe qu’on prenne bien gardé en Europe au profond changement produit par cette élection dans la situation des États-Unis. La question qui se débattait dans ce scrutin était au fond celle même pour laquelle on combat des bords du Potomac au golfe du Mexique. Il s’agissait de savoir si, au travers de ses institutions fédérales, l’Union américaine possède et doit conserver une existence nationale, s’il y a et s’il y aura une nation américaine, s’il y a et s’il doit y avoir un patriotisme américain. On comprend que, dans une fédération, les attributions des états distincts dans tout ce qui concerne leur administration intérieure soient aussi larges que possible ; mais une fédération est toujours l’expression d’une unité nationale et politique, et, si loin que soient portés les droits des états distincts dont elle est composée, il est impossible de comprendre qu’ils puissent aller jusqu’au droit de détruire, suivant le bon plaisir de chaque état, la fédération même, forme et organe de l’unité politique et nationale. Il est bizarre qu’en Angleterre des esprits distingués, mais prévenus par des rivalités nationales, et qu’en France des esprits aveuglés par l’ignorance ou gâtés par une frivolité perverse, aient voulu que la constitution des États-Unis fût fondée sur un aussi monstrueux contre-sens, et se fût ainsi exposée à un perpétuel suicide. Que les meneurs des états du sud, plus préoccupés de la question sociale que de la question politique, résolus à faire appel à la force pour établir, en sortant violemment de l’Union, un état social fondé sur l’esclavage, aient mis en avant la première théorie venue, cela est peu surprenant ; leur conduite passée, comme leur conduite présente, dément d’ailleurs leur prétention. Qui peut oublier que,