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savait que le fileur ne pouvait se passer de la présence du rattacheur ? On avait cru, par le système impraticable des relais d’enfans, concilier les intérêts de l’humanité et ceux de l’industrie ; mais dans le fait on avait sacrifié l’industrie. Voilà ce que déclara le conseil-général des manufactures, consulté par le ministre, et ce que le ministre vint à son tour déclarer à la chambre en lui demandant de se déjuger à six ans de distance.

M. Charles Dupin, nommé de nouveau rapporteur, n’eut pas de peine à montrer le but réel qu’on poursuivait au moyen de ces vains prétextes : on voulait se débarrasser des entraves de la loi et faire travailler les enfans à discrétion. La prétendue concession de reculer l’âge d’admission jusqu’à dix ans ne lui en imposa point. Il établit facilement que le nombre des adolescens employés dans les fabriques était double de celui des enfans, et que parmi ces derniers on préférait partout les enfans de dix à douze ans. Ce sacrifice qu’on faisait sonner si haut était donc en réalité un leurre ; la loi, si elle était votée, ne changerait rien sous ce rapport à ce qui se pratiquait déjà, et l’on se trouverait affranchi gratuitement de la limitation des heures de travail. Le projet ainsi démasqué, le rapporteur prit un à un tous les prétextes de l’exposé des motifs, et n’en laissa pas subsister un seul. Il convint qu’un enfant de huit ans ne pouvait pas travailler douze heures par jour, mais il affirma qu’il en pouvait travailler huit. Il se demanda d’où venait au gouvernement cette confiance dans l’intelligence et la tendresse des parens qui le portait à admettre sans hésiter que les enfans de huit à dix ans exclus des manufactures passeraient ces deux années à l’école. Une triste expérience devait au contraire l’avertir qu’ils les passeraient dans l’abandon. N’était-ce pas abuser que d’affecter une si grande sollicitude pour le délaissement des enfans de dix à douze ans pendant un tiers de journée, lorsqu’on livrait à eux-mêmes pendant la journée entière des enfans plus petits et qui par conséquent avaient besoin de plus de soins ? Comment osait-on parler de l’instruction du peuple dans un projet de loi qui, en imposant douze heures de travail aux enfans dès l’âge de dix ans, leur rendait désormais impossible la fréquentation des écoles ? Était-ce sérieusement qu’on venait soutenir que l’instruction reçue à neuf ans, arrêtée court au commencement de la dixième année, serait suffisante et durable ? Il suffit d’entrer dans une école primaire pour savoir où en sont les enfans de dix ans. Ceux même qui ont suivi l’école jusqu’à treize ou quatorze ans ont bien vite fait d’oublier tout ce qu’ils y ont appris, s’ils n’ont aucune occasion de s’exercer ; les tableaux du recensement et la statistique des mariages ne le prouvent que trop. Passant de là aux intérêts de l’industrie, le rapporteur démontrait par de