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C’est la pensée qui devant le tribunal a dirigé toute sa conduite. Humblement soumis en paroles, il avait affecté et promis en toute occasion une parfaite obéissance, et aucun de ses interrogatoires n’accuse le moindre dessein de résistance. Après avoir satisfait à l’examen rigoureux de ses juges, il n’y a nulle apparence que, par une dernière parole de raillerie, il ait osé les braver. Plusieurs biographes ont affirmé que ce rigoureux examen du saint-office n’était autre chose que la torture, et qu’on exerça sur Galilée les dernières rigueurs : cette supposition n’a pas de fondemens sérieux. Tout prouve au contraire que les tortures morales sont les seules dont il ait souffert, et en interdisant sévèrement le compte-rendu du procès on a voulu, comme l’a supposé avec beaucoup de vraisemblance M. Trouessard, cacher non la sévérité, mais l’indulgence. Le saint-office, qui avait pour mission de maîtriser les esprits par la crainte, ne pouvait renoncer à sa réputation d’inexorable rigueur. Si l’amitié vigilante du grand-duc de Toscane obtint que Galilée fût traité avec douceur, il était utile de laisser croire le contraire. Lorsque d’ailleurs, conformément aux habitudes qu’il fallait bien suivre, comme l’a dit récemment M. le préfet des archives secrètes du saint-siège, Galilée fut menacé de la torture s’il ne disait pas la vérité, « je ne tiens pas, répondit-il avec terreur, je n’ai pas tenu à cette opinion de Copernic depuis que l’on m’a signifié l’ordre de l’abandonner. Au surplus, je suis dans vos mains ; faites de moi ce que vous voudrez : je suis ici pour faire ma soumission, je n’ai pas tenu à cette opinion depuis qu’elle a été condamnée. » Pourquoi aurait-on usé de violence envers celui qui, protestant contre toute idée de rébellion, se déclarait très haut l’enfant soumis et obéissant de l’église et fléchissait avec résignation devant le tribunal dont il n’implorait que la clémence ? Malgré ces raisons décisives, je me sens troublé, je l’avoue, par un souvenir déjà ancien. Très jeune encore, je me trouvais à Rome avec l’aimable et savant M. Ampère. Plein de confiance alors dans le raisonnement, il m’arrivait souvent de lui démontrer que certaines choses devaient être ou avaient dù être de telle manière et non autrement ; mais lui, par une seule phrase, renversait toute ma dialectique. « Vous oubliez, me disait-il, que nous ne sommes pas dans le pays de la logique ; » vérification faite, il avait souvent raison, et comme ma confiance dans les démonstrations renaissait sans cesse, sa maxime devint bientôt entre nous d’un usage assez commun pour être réduite sans inconvénient à un seul mot, prononcé sur le ton de l’avertissement : — la logique !

Laissons donc de côté les raisonnemens et ne nous piquons pas d’invoquer la logique, qui ne peut rien prouver lorsqu’il s’agit de Rome. Répétons seulement qu’aucun document positif ou même