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par la pluie et la boue, portant à la main, et, quand il pleut, sous leur vêtement, devenu imperméable par l’huile des métiers tombée sur eux, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à leur retour… Il les peignit énervés, pâles, lents dans leurs mouvemens, tranquilles dans leurs jeux, et compara, non sans une poignante éloquence, leur extérieur de misère, de souffrance, d’abattement, avec le teint fleuri, l’embonpoint, la pétulance et tous les signes d’une brillante santé qu’on remarque chez les enfans du même âge, chaque fois que l’on quitte un lieu de manufactures pour entrer dans un canton agricole.

L’enfantement de la loi de 1841 fut très laborieux. Le ministre du commerce porta le 11 janvier 1840 à la chambre des pairs un projet de loi qui avait pour but de donner au gouvernement le droit de protéger par des ordonnances les enfans travaillant dans les manufactures. La chambre crut qu’il fallait mettre la protection et le règlement dans la loi même, et vota le 19 mars une loi très incomplète, très insuffisante, mais qui lui fait le plus grand honneur, parce qu’elle pose les vrais principes sur la matière, et rend par conséquent possibles toutes les améliorations ultérieures. Cette même loi, amendée par la chambre des députés, fut rapportée le 12 janvier 1841 à la chambre des pairs par M. Cunin-Gridaine, ministre du commerce. « La voilà, dit-il, telle au fond que vous l’avez adoptée ; la chambre élective n’y a guère fait que des améliorations dans la forme. » M. Cunin-Gridaine déclarait d’ailleurs que le gouvernement avait mis le temps à profit pour continuer son enquête en France et à l’étranger, et que tous les témoignages concluaient en faveur des mesures proposées. La chambre des pairs renvoya la loi à la commission qui l’avait examinée, ou plutôt créée, l’année précédente, et qui se composait de MM. Victor Cousin, Charles Dupin, de Gasparin, de Gérando, de Louvois, Rossi et de Tascher. Les noms des commissaires doivent être cités tant à cause de l’autorité qu’ils donnent à la loi émanée en grande partie de leur initiative que par un juste sentiment de reconnaissance pour un grand service rendu à l’humanité, et, nous en avons la ferme conviction, à l’industrie elle-même. Le rapport de M. le baron Dupin peut être aujourd’hui encore étudié et médité avec fruit. Sur 106 avis motivés des chambres de commerce et des conseils de prud’hommes que le gouvernement avait fait imprimer, 10 seulement lui étaient contraires. La chambre fut presque unanime : il ne se trouva que 2 boules noires sur un total de 106 votans.

La loi du 22 mars 1841 embrasse plus d’établissemens que le bill de 1833. Elle ne se borne pas, comme la loi anglaise, aux moulins de coton et de laine ; elle s’étend à tous les ateliers composés de