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Amiens, Reims et Boulogne, veulent les interdire sans réserve aux adolescens. Tous les conseils sont unanimes pour les interdire aux enfans dans le triple intérêt de la santé, de la moralité et de l’industrie. On demande seulement que par exception, pour un temps très limité et dans le cas de nécessité démontrée, les veillées puissent être permises aux adolescens âgés de plus de quinze ans. Cette restriction au principe est regrettable ; nous verrons qu’elle finit par passer dans la loi française, tandis qu’en Angleterre l’interdiction du travail de nuit pour les enfans et les adolescens est absolue.

Sixième question. — Les enfans seront-ils astreints à suivre les écoles ? — Sur cette question comme sur la précédente, l’affirmation est unanime. Un seul conseil de prud’hommes et deux chambres de commerce avaient demandé que l’école ne fût pas obligatoire. Les prud’hommes de Lille au contraire déclarent que la loi, sera comme non avenue, si des mesures coercitives ne sont pas ordonnées pour la fréquentation des écoles. Quelques conseils sont d’avis que l’enfant de neuf ans ne puisse être admis dans la fabrique qu’en prouvant qu’il sait déjà lire et écrire ; tous pensent que quand même il saurait lire il doit continuer à suivre les écoles au moins une heure ou deux heures par jour, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de treize ans.

L’ouvrage de M. Villermé, qui parut en 1840, fut comme le résumé de cette solennelle enquête. Jamais il n’y eut d’observation plus exacte, d’esprit plus modéré, ni de faits plus accablans. M. Villermé établit qu’on employait dans les ateliers des enfans de sept ans et même de six ans, que les ouvriers étaient retenus dans certaines filatures jusqu’à dix-sept heures par jour, ce qui, en défalquant une demi-heure pour le déjeuner et une heure pour le dîner, laissait quinze heures et demie de travail effectif. Ces quinze heures et demie effrayaient à bon droit M. Villermé, qui, à la fois médecin et psychologue, connaissait les effets d’une fatigue trop prolongée sur le corps et sur l’esprit. Il lui échappe à ce sujet une réflexion poignante. « La journée des forçats n’est que de douze heures, dit-il, et elle est réduite à dix par le temps des repas. » Le sort des enfans l’intéresse plus que celui des adultes, et, pour le dire en passant, il n’a cessé jusqu’à ses derniers jours de dresser des tableaux de mortalité dont on finira bien par tenir compte, et qui finiront aussi par obliger la société à limiter à six heures par jour le travail des enfans[1]. Il montra cette multitude d’enfans maigres, hâves, couverts de haillons, qui se rendent pieds nus à la fabrique,

  1. Tableau physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, par M. Villermé, t. II, p. 87 et suivantes.