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richesse ou l’industrie qu’on les a fait entrer, dès six ou huit ans, dans ces moulins de coton, où ils travaillent douze ou quatorze-heures au milieu d’une atmosphère constamment chargée de poils et de poussière, et où ils périssent successivement de consomption avant d’avoir atteint vingt ans. On aurait honte de calculer la somme qui pourrait mériter le sacrifice de tant de victimes humaines ; mais ce crime journalier se commet gratuitement[1]. »

Bien des années s’écoulèrent, pendant lesquelles les abus ne firent que s’aggraver, sans que le gouvernement songeât à intervenir. L’opinion même était muette. On ignorait, à deux pas des fabriques, ce qui s’y passait. C’est seulement en 1827 que deux hommes dont le nom doit être conservé, le docteur Gerspach, de Thann, et M. Jean-Jacques Bourcart, de Mulhouse, appelèrent de nouveau l’attention sur cette question capitale, M. Gerspach par une thèse soutenue devant la faculté de médecine de Paris, M. Bourcart en provoquant, au sein de la Société industrielle de Mulhouse, une discussion approfondie sur la situation des enfans dans les fabriques de coton et surtout dans les filatures. Tout se borna pendant longtemps à des efforts isolés ; les passions politiques absorbaient l’activité du pays. L’enquête de 1832 en Angleterre et la loi qui en fut la conséquence n’eurent pas le pouvoir de nous arracher à cette indifférence cruelle. La Société industrielle de Mulhouse demeura seule sur la brèche et continua courageusement à étudier les faits, à en chercher le remède, à provoquer l’intervention de la loi. Elle fit école autour d’elle. Le conseil-général du département, la chambre de commerce élevèrent la voix à leur tour, et supplièrent le gouvernement d’intervenir. La Société industrielle prit l’initiative d’une pétition adressée aux deux chambres et aux ministres de l’intérieur, de l’instruction publique et du commerce. Une commission nommée dans son sein se mit à l’œuvre avec ardeur, et vit bientôt les documens s’accumuler dans ses dossiers. Le rapport fut lu à l’assemblée générale du 31 mai 1837 par le docteur Penot, qui vient encore d’attacher son nom à la création des bibliothèques communales. Nous aimons à signaler ces efforts d’une ville industrielle, à nommer ces fabricans qui demandent une réduction de travail pour leurs ouvriers avec autant de zèle que d’autres en mettraient pour solliciter un privilège. Nous y trouvons une preuve de la possibilité de la réforme au point de vue économique, et nous y admirons surtout cette sollicitude fraternelle qui unissait déjà à Mulhouse les patrons et les ouvriers, et qui a contribué si puissamment à la prospérité de la ville.

  1. Tome Ier, p. 353.