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L'OUVRIER
DE HUIT ANS

On dit quelquefois que nous ne verrons pas d’aussi grandes choses que nos pères. Cela est vrai sans doute, à ne considérer que la politique, et sous ce rapport l’année 1789 n’a pas de rivale à craindre ; mais quelles que soient les tristesses de l’heure présente, elles sont diminuées et compensées peut-être par l’éclat et l’importance du mouvement scientifique. Cette grande et définitive révolution efface toutes les autres. C’est aux philosophes et aux politiques à se hâter de la suivre, car on ne peut se flatter de gouverner par les mêmes règlemens une société dont les conditions d’existence sont changées. Il n’y a plus rien d’immuable au monde que la morale.

Que demandait-on surtout à l’ouvrier il y a trente ans ? De la force. Aujourd’hui, grâce à la vapeur, il n’en a presque plus besoin ; au lieu d’être une force lui-même, il est seulement le surveillant d’une force. Pour cette nouvelle besogne, un homme n’est pas toujours nécessaire ; une femme, un enfant peuvent suffire. Or, partout où ils suffisent, on les préfère, parce qu’ils coûtent moins. Au point de vue économique, on doit reconnaître que les usines donnent aux femmes et aux enfans des salaires qu’aucune autre sorte d’industrie ne pourrait leur procurer. Il y a donc là, pour la famille, un accroissement de revenu, pourvu que l’homme, évincé de la fabrique, trouve ailleurs un emploi suffisant et équivalent de sa force. Cela ne se rencontre pas toujours : on cite, principalement en Angleterre, des centres industriels où les hommes sont nourris dans l’oisiveté par leurs femmes et leurs enfans. Rien ne serait