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constaterait partout une augmentation plus ou moins sensible,. même en tenant compte de la diminution de valeur qui a frappé le numéraire. Les mêmes causes ont déterminé les mêmes effets, à mesure que le capital industriel a été plus employé et mieux rémunéré, la main-d’œuvre a dû être plus recherchée, plus disputée par la concurrence des patrons et par conséquent mieux payée.

Ces raisonnemens ne satisferont pas les ouvriers. Ceux-ci ne voient que le fait de la différence des salaires, quand cette différence est à leur désavantage. Si on leur démontrait que les ouvriers belges, allemands, suisses, italiens, espagnols, reçoivent des salaires moindres que les leurs, ils devraient donc répondre, pour être logiques, que les manufacturiers belges, allemands, suisses, italiens, espagnols, sont plus cupides que les manufacturiers français, de même que ceux-ci sont dénoncés par eux comme étant plus cupides que les manufacturiers anglais, qui paient la main-d’œuvre plus cher ! Leur bon sens, plus fort que leur logique, reculerait sans doute devant une telle conclusion ; mais ils ne se préoccupent pas de ces comparaisons, qui leur semblent étrangères à leur sujet. Les délégués ont vu à Londres les ouvriers anglais en possession de salaires plus élevés. Nous pouvons, pensent-ils, et nous devons être rémunérés et traités au moins comme les ouvriers anglais, nous qui travaillons plus longtemps et qui les égalons en habileté. S’il n’en est pas ainsi, c’est que nous subissons le joug d’une législation injuste ; on nous empêche de faire valoir nos droits, — Et à cet effet les délégués sollicitent les armes ou plutôt (car il s’agit là d’un débat tout pacifique) les moyens qui leur paraissent nécessaires pour que la réforme des salaires s’accomplisse.

Quels sont ces moyens ? En première ligne figure la suppression des articles du code pénal relatifs aux coalitions. Il a été donné satisfaction à ce vœu par la loi votée dans la session de 1844. Le régime contre lequel ont réclamé les délégués était en effet inconciliable avec le principe de la liberté du travail. Vainement prétendait-on qu’il était favorable aux ouvriers en les protégeant contre leurs propres entraînemens, et en garantissant, avec la paix publique, la sécurité des industries et des ateliers. Ce motif, qui pour un grand nombre de partisans de l’ancienne loi n’était qu’un prétexte, ne devait point prévaloir contre les principes de liberté et de justice qui ont fort à propos inspiré les pouvoirs publics. Ce n’est pas tout : les délégués demandent qu’il soit permis aux ouvriers de S£ réunir, afin de discuter en commun et de s’entendre sur toutes les questions qui intéressent leurs salaires et leurs rapports avec les patrons. On leur oppose la loi générale sur les réunions et associations, et cette objection prend certainement sa source plutôt dans l’appréhension d’un péril politique que dans le désir de restreindre