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un prix de vente moins élevé, est égal et même supérieur à ce qu’il était antérieurement à la réforme. C’est vers ce but que doivent tendre tous les efforts. Les rapports de l’exposition de Londres attestent que, dans l’état actuel des choses, l’agriculture française est parfaitement en mesure de lutter contre la concurrence de l’étranger. Après les blés de l’Australie, qui ont été classés en première ligne (et certes on ne dira pas que cette supériorité est due à la bienfaisante action d’un tarif protecteur), ce sont les blés français qui, selon le témoignage du rapporteur, M. Georges, ont mérité la mention la plus honorable. Si les blés anglais étaient d’apparence plus brillante, les nôtres l’emportaient par la composition intrinsèque du grain. Quant aux farines, nos marques conservent un avantage incontestable. Nous n’avons donc rien, à craindre de la concurrence quant à la qualité même du produit, mais le rendement par hectare, au moins dans certaines régions, est évidemment inférieur, et c’est là ce qui préoccupe avec raison notre agriculture.

La valeur de la propriété foncière en France ne cesse de s’accroître, et en même temps le prix de la main-d’œuvre augmente, parce que les bras consacrés au travail de la terre deviennent plus rares. Ces deux faits incontestables, qui semblent s’opposer au bon marché des subsistances, ne s’observent point seulement dans notre pays ; ils se manifestent aussi bien en Angleterre et en Allemagne qu’en France. Ils proviennent de l’immense mouvement industriel qui s’est révélé de notre temps, et qui a exercé une influence si grande sur le développement du capital et du travail. Cependant le déplacement des populations rurales, attirées vers les villes par les salaires de l’industrie, est un sujet presque général de plaintes : on y voit comme un rapt dont l’agriculture est victime. Les esprits timides se bornent à le signaler et à le déplorer en termes vagues : les plus osés n’hésitent pas à provoquer des mesures prohibitives, des règlemens de police, des lois au besoin qui rétabliraient presque le régime de la glèbe pour mettre obstacle à l’émigration. Nous avons peine à nous expliquer le mouvement qui se fait autour d’une question si simple. Empêcher, même indirectement, celui qui travaille de se porter là où il lui convient le mieux d’aller et où il obtient le meilleur salaire, ce n’est pas seulement une faute économique, c’est une erreur politique, un acte de véritable tyrannie. Dans quel code puiserait-on un pareil droit ? Les notions les plus élémentaires de la justice veulent que chacun conserve l’entière disposition de ses bras, et le bon sens se révolte contre toute mesure qui prétendrait entraver ou même diriger les pérégrinations du travail.

Si l’enchérissement de la main-d’œuvre agricole était aussi fatal