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monacale. Chez lui, le théologien a dicté au souverain des actes impolitiques et des rigueurs inutiles, comme l’affaire d’Azazo, au début de son règne. J’ai dit qu’Azazo était une petite ville de marchands théologiens, qui soutenaient sur la nature du Christ une opinion fort subtile légèrement entachée d’hétérodoxie. Le haut commerce de Gondar appartenait à cette secte, dont les idées, peu dangereuses pour la paix publique, offusquèrent le négus. Il réunit à Gondar un concile qu’il présida en personne, et où les dissidens argumentèrent chaudement contre l’ignorant abouna et ses courtisans orthodoxes. Théodore résuma les débats et demanda aux gens d’Azazo : « Reconnaissez-vous l’abouna, oui ou non, comme votre chef régulièrement nommé ? — Oui, répondirent-ils sans hésiter. — En ce cas, mes enfans, reprit le négus, vous êtes des séditieux, si vous pensez autrement que l’abouna, chef régulier de l’église, et que moi, protecteur temporel de la même église. Vous allez en conséquence abjurer votre erreur, sans quoi le bourreau de l’empire fera tomber vos têtes ici même. » Le bourreau de l’empire était là en effet, armé de sa lourde épée. Les dissidens, décontenancés, firent observer que c’était brusquer trop vivement l’action de la grâce, et demandèrent trois jours pour réfléchir. Théodore les leur accorda, leva la séance et les fit enfermer sans vivres et sans eau dans la salle du concile. Je n’ai pas entendu dire qu’un seul d’entre eux ait attendu pour abjurer le soir du second jour. On ajoute, et je le crois sans peine, qu’ils n’ont abjuré que des lèvres.

Il y a dans les montagnes voisines de Gondar une peuplade à demi sauvage, timide et inoffensive, dernier vestige d’une population qui a probablement précédé les Abyssins actuels dans la possession du sol. Les Kamantes (c’est le nom de cette tribu) pratiquent, à l’ombre de leurs forêts, un paganisme mystérieux, et n’ont pas d’autre industrie que d’approvisionner la capitale du bois de chauffage dont elle manque. Théodore songea un instant à les faire baptiser de force et en masse ; mais un courtisan à qui il communiqua cette idée lui fit judicieusement observer « que le jour où les Kamantes, devenus chrétiens, seraient les égaux des autres Abyssins, ils ne daigneraient plus apporter leurs fagots à la ville, et que Gondar, par suite, ne serait plus habitable. » Ce motif de prudence mondaine préserva ces pauvres gens d’une persécution gratuite.

Il y a environ cinq ans, le gouvernement français réclama, par l’organe de son consul, la libre prédication du culte catholique romain dans l’empire. Théodore répondit par une lettre curieuse dont voici le sens : « Il est vraiment scandaleux pour la chrétienté qu’elle soit divisée en cinq ou six communions ennemies, tandis que l’islamisme offre un corps bien discipliné. Pourquoi un concile œcuménique