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Ouollos, les usa par une guerre d’extermination, et se porta jusqu’au mont Kollo, traînant après lui 8,000 prisonniers auxquels il fit froidement couper la main et le pied : la plupart moururent des suites de cette affreuse mutilation. « Ce ne fut pas long, me disait un prêtre indigène : chaque soldat saisit son homme et le taillada comme un mouton. On n’avait jamais rien vu de pareil en Abyssinie. »

Quand Théodore II repassa le Bachilo, il ne laissait derrière lui qu’un désert sanglant, couvert de ruines, parcouru par quelques bandes farouches, débris d’un grand peuple qui eut aussi jadis un certain rôle historique. La vengeance était complète. Les femmes et les enfans avaient été distribués aux soldats, qui les vendirent aux musulmans : aussi cette année-là, en mai, le grand marché d’esclaves de Metamma, sur la frontière égyptienne, fut-il largement approvisionné. Les hommes furent internés dans le centre de l’empire et employés aux travaux des routes. Ces routes sont à peu près le seul bienfait matériel dont le négus ait jusqu’ici doté l’Abyssinie. Déjà précédemment il avait fait exécuter comme essai un tronçon de route près de Devra-Tabor, et y avait fait travailler les soldats, qui avaient murmuré ; ce que voyant, Théodore était descendu de cheval, et, jetant la toge brodée qui lui sert de manteau, il avait bravement saisi une lourde pierre et l’avait portée sur le côté de la voie. « Maintenant, avait-il dit, que celui qui est trop noble pour faire comme moi veuille bien me le dire ! » Je n’ai pas besoin d’ajouter si l’exemple fut suivi. Plus tard, quand le négus eut employé les Gallas à ces travaux, il obtint un réseau de routes stratégiques bien faites, surtout entre Devra-Tabor et le fleuve Abaï. J’ai pu constater à sa louange que ces Gallas, dont j’ai quelquefois visité les chantiers, étaient bien nourris, régulièrement payés, faisaient même des économies, et en somme paraissaient heureux.

Le reste de l’année 1862 fut consacré à des opérations sans résultats au Godjam, contre l’opiniâtre Tedla-Gualu, qui, fort des sympathies de la province, vivait sans inquiétude sur l’amba de Djibela, l’ancienne forteresse de Beurrou-Gocho, pain de sucre à peu près imprenable qu’il avait encore fortifié. Djibela, entouré d’abîmes, ne communiquait avec le plateau voisin que par un sentier très bas, où deux hommes ne pouvaient passer de front, et au-dessus duquel étaient suspendus trois ou quatre énormes rochers retenus par de fortes chaînes. Tedla leur avait facétieusement donné des noms de saints du calendrier. « Si jamais le Kuaranya, disait-il, engage ses troupes sur ce sentier, je ne lui tirerai pas un coup de fusil : il me suffira de lâcher saint Michel pour balayer tout ce monde-là à cinq cents pieds dans le précipice. » Cette campagne, peu brillante militairement, coïncida cependant pour le négus avec