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le Bouddha comme leur maître et leur sauveur. Cependant le livre sacré des Juifs est aussi l’un de ceux des chrétiens, et nous savons que le panthéon des brahmanes a passé tout entier chez les sectateurs du Bouddha. Ce n’est pas non plus à la science qu’il convient d’examiner la valeur absolue des religions, et c’est pour cela qu’elle n’a rien d’agressif ; mais quand elle remonte vers le passé, et qu’elle est arrivée à un point où l’histoire et les autres moyens d’investigation lui manquent, elle ne peut plus qu’interroger les grandes lois de la nature qui président au développement de toutes choses, et auxquelles l’humanité et ses religions sont assujetties.

Tels sont les principes et les notions générales sur lesquels repose aujourd’hui la science des religions. En les exposant, nous n’avons fait que résumer ce qui se rencontre dans un grand nombre d’écrits sur cette matière. En fixant la place de cette science nouvelle et en traçant)a marche qu’elle suit, on touche nécessairement aux religions en vigueur comme à celles qui ne sont plus. Les hommes qui se livrent à cette étude s’en sont partagé le domaine, qui ne saurait être aisément exploité par un seul. Plusieurs d’entre eux, surtout en Allemagne, quelques-uns en France, paraissent, aux yeux de personnes pieuses, user d’une hardiesse intolérable à l’égard de choses qu’elles considèrent comme sacrées. La justice veut que les hommes de labeur consacrés à la science, et qui en réalité portent le fardeau du jour, soient plus favorablement jugés. J’ai lu beaucoup de leurs écrits, et je n’y ai vu aucune attaque contre la religion. On se trompe en les croyant animés de l’esprit du XVIIIe siècle : le temps a marché, il a fait taire les attaques frivoles, les injures et les haines. L’esprit sarcastique et railleur du siècle passé n’a rien de commun avec la science. Les vrais savans n’ont aucune raison de s’attaquer ni aux fondateurs des religions, ni à leurs dogmes, ni à leurs cultes, ni même à leurs ministres. Les dogmes nouveaux représentent le plus souvent quelque progrès dans la connaissance de Dieu ; ceux qui les ont successivement proclamés ont été nos grands initiateurs ; les docteurs qui les ont développés n’ont pas peu contribué à notre civilisation. Et ceux qui font aujourd’hui la science des religions, et qui cherchent à se reconnaître au milieu de tant d’essais successifs, que font-ils qui soit hostile aux hommes, ou plutôt qui ne mérite leur approbation ? Ils ne cherchent pas leur avantage personnel, ils cherchent la vérité.


Emile BURNOUF.