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on ne doit pas se dissimuler qu’à travers des luttes stériles contre des hommes dont la foi, n’est pourtant pas en cause, la science marche toujours, et que les vieux récits mosaïques sont soumis à ses méthodes aussi bien que ceux des Grecs, des Germains, des Perses et des Indiens. Si, au lieu d’agir par passion et de défendre la foi par la violence, les chrétiens fervens envisageaient le travail de la science avec ce calme d’esprit qui ne convient pas moins à la foi qu’à la raison, ils se convaincraient certainement que la répugnance de beaucoup de personnes à prendre au pied de la lettre les récits mosaïques n’a rien de commun avec ce qu’on appelait autrefois le libertinage et les débauches de l’esprit, et qu’elle provient uniquement de la nécessité où est notre siècle d’accorder sa foi avec sa raison. Notre siècle ne recule pas devant l’extraordinaire, moins encore devant le divin ; mais il recule devant l’impossible. La science est donc forcée par sa nature de ranger beaucoup de récits mosaïques, notamment ceux que contiennent les premiers chapitres de la Genèse, dans cette grande classe de récits qui portent les noms de mythes ou de légendes, dont on ne nie pas la vérité, mais dont la forme a besoin d’être ramenée à des expressions plus simples. Or, à ce point de vue, tous les savans sont d’accord pour limiter la partie historique de la Bible à l’époque de Moïse ou à un temps très peu antérieur. Au-delà, il n’y a plus aucun fait qui puisse être scientifiquement accepté et entrer dans l’histoire avec la forme que les récits hébraïques ont adoptée.

Ainsi donc on ne peut espérer trouver dans la Bible l’origine première des religions. Au moment où Moïse prend en main le gouvernement spirituel de son peuple et fonde cette puissante institution religieuse qui dure encore, ce peuple n’était ni sans Dieu, ni sans culte. Or ni la légende d’Abraham, ni celle de Noé, ni, à plus forte raison, le mythe d’Abel et Gain, ou celui du serpent tentateur, ne peuvent rendre compte de la naissance de l’idée de Dieu et du rite primordial chez les Sémites. Les récits genésiaques font évidemment allusion à des temps fort antérieurs à Moïse et même à Abraham ; mais il n’y a rien de précis ni de scientifique dans ce qu’ils en rapportent. On peut penser que quand ces antiques souvenirs furent recueillis et vinrent former la Genèse, ils n’étaient plus qu’un écho très affaibli défaits et peut-être de doctrines d’une antiquité beaucoup plus haute. Je sais qu’aujourd’hui certains disciples de l’école philologique voient dans les premiers récits de la Genèse une, reproduction incomplète des mythes aryens, si amplement développés dans le Rig-Vêda, et identifient par exemple le serpent tentateur avec le serpent (Ahi) ennemi d’Indra, lequel n’est autre que le Nuage ; mais il n’est pas dit que tous les serpens mythiques de l’antiquité procèdent d’Ahi : les Sémites ont pu, comme