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lorsque le droit de réunion vient d’être reconnu, lorsque les instructions ministérielles laissent le champ libre aux opinions, cela ne ressemble-t-il pas à une abdication ? Et ne voilà-t-il pas une étrange politique qui consiste à attendre en se croisant les bras, selon le langage du manifeste ? La vérité est que cette abstention, votée à l’unanimité, cache des dissensions profondes, et que le parti progressiste est plus que jamais divisé en deux fractions, dont l’une continue à se ranger ostensiblement sous la bannière du duc de la Victoire, tandis que l’autre, ayant pour chef M. Olozaga ou le général Prim, — c’est une question de préséance à vider, — va se perdre dans le jeune parti démocratique qui tend à se former au-delà des Pyrénées. On pourrait dire que ces divisions se compliquent d’une antipathie personnelle des plus vives entre le duc de la Victoire et M. Olozaga. Des médiateurs de bonne volonté ont essayé plus d’une fois de réconcilier les deux ennemis, et même récemment M. Olozaga en personne a fait tout exprès le voyage de Logrono, où le vieux duc est retiré. M. Olozaga en a été pour ses avances et pour son voyage ; le duc de la Victoire n’a voulu rien entendre, il a fermé sa maison à l’ennemi intime, il a décliné la présidence du comité de Madrid, et s’il s’est rallié en définitive à l’abstention, ce n’est pas sans faire des réserves pour le trône constitutionnel, dont les jeunes démocrates auxquels s’unit M. Olozaga paraissent faire bon marché, sans compter que le vieux duc n’avait pas beaucoup de peine à se rallier à un rôle qui est si bien dans ses habitudes, qu’il reprend invariablement toutes les fois qu’il n’est pas au pouvoir. Voilà où en est le parti progressiste au moment où se rouvre devant lui une carrière élargie par une politique plus libérale. Il attend les bras croisés, la conscience tranquille, et surtout fort homogène, comme on voit !

Malheureusement le parti conservateur, que représente en somme le nouveau ministère, n’est pas beaucoup moins divisé. La décomposition de l’ancien parti modéré a donné naissance à une multitude de fractions diverses dont l’une, la plus intelligente, sinon la plus nombreuse, a pour porte-drapeau dans la presse le journal le Contemporaneo, et a ses représentans dans le ministère. C’est la fraction qui s’efforce depuis quelques années de rajeunir le parti conservateur par un sentiment plus large des nécessités contemporaines, qui a plaidé plus d’une fois pour que l’Espagne reconnût l’Italie, qui voudrait éviter les diversions extérieures et lointaines devenues la plaie des finances, et tourner toutes les forces, toutes les préoccupations du pays vers le développement des institutions et des ressources intérieures. Le libéralisme est son mot d’ordre, et son moyen pratique est la franche et large application du régime constitutionnel, qui en réalité n’a guère été qu’une fiction jusqu’ici. À l’extrémité opposée s’est formée une autre fraction bien différente, celle des néo-catholiques, dont M. Nocedal s’est improvisé le chef, et qui a pour organe dans la presse le Pensamiento español. La politique des néo-catholiques est tout simplement une réaction déclarée, la réaction dans les relations extérieures