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Vous ne combinez pas, et voilà votre tort,
La cause avec l’effet, le but avec l’effort.
Que diable ! ayez au moins la vision plus nette,
Ou cessez de vous plaindre ou prenez ma lorgnette !

XL

 
« Ai-je l’âme trop bonne ou les yeux trop démens ?
Mais je ne vois partout que des hommes charmans,
Qu’aucun instinct n’émeut, qu’aucun transport n’enivre,
Doucement adonnés à ce qu’ils nomment vivre,
Résignés et dodus, tranquilles et fleuris,
Ayant peur du silence, ayant horreur des cris,
Bornant modestement leur modeste voyage
À l’est par le plaisir, par un beau mariage
À l’ouest, et là-bas, mais tout là-bas au nord,
Par une bien obscure et bien paisible mort ;
À tous vents du dehors fermant porte et fenêtre,
Érigeant sagement en vertu leur bien-être ;
Dans leur petit esprit dont ils sont fort coquets,
Si friands de scandale et de petits caquets
Qu’ils font d’un grand pays une petite ville ;
Rendant au dieu Succès un culte un peu servile,
Mais redoutant le neuf comme un coup de bâton ;
Sentant pour un passé qu’ils trouvent de bon ton
Une secrète ardeur qui fondrait bien leur glace,
Si pour reculer même on ne changeait de place ;
De préjugés d’ailleurs non plus que sur la main ;
Se souciant d’hier autant que de demain ;
Dans les larges couloirs d’un aimable cynisme,
Ayant commodément logé leur égoïsme ;
Tenant que tout est bien dont on n’a pas de mal ;
Portant au labarum : « Cela m’est bien égal ; »
Vivant entre eux du reste en bonne intelligence,
Grâce au mépris commun sous couleur d’indulgence,
Sans grandes passions et sans grands sentimens,
Sans fiel et sans orgueil, enfin charmans, charmans !

« Charmans en vérité ! Mais aussi quelle vie !
Qu’ont-ils à regretter ? qui peut leur faire envie ?
Eux, penser ! à quoi bon ? Agir ! vous plaisantez !
N’ont-ils pas pour cela des agens patentés,
Des instituts pour eux savans et pour eux graves,
Pour eux des remplaçans payés pour être braves,