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nommé toutes les fois qu’elle peut exercer l’industrie spéciale pour laquelle elle est créée. Ces expériences ont été variées de toutes les manières possibles : les résultats ont toujours été constans, et l’on peut les résumer par l’énoncé suivant. Toute matière ayant eu vie, maintenue humide, au contact de l’air commun, à une température suffisante de 15 à 25 degrés, se peuple naturellement, à l’intérieur et à l’extérieur, d’infusoires ou de mucédinées dont l’espèce varie avec la matière observée, et sans qu’on sache à priori comment ces êtres ont pris naissance.

Dans toute discussion, c’est un point fort important que les adversaires soient d’accord sur les faits fondamentaux. Cette condition est réalisée dans le cas qui va nous occuper. La loi que nous avons exprimée est incontestable, et personne ne songe à la contester ; mais, si tous les physiologistes s’inclinent devant l’autorité de ces phénomènes, ils se séparent aussitôt qu’ils veulent en donner l’explication. Quelques-uns raisonnent à peu près de la manière suivante. — Quand on enlève une portion quelconque à un végétal ou à un animal, elle cesse de vivre ; alors ses élémens organiques, que M. Claude Bernard décrivait ici dernièrement avec tant d’autorité et de succès[1], redeviennent libres, et la part de vie qu’ils possédaient s’affranchit de la solidarité qui les liait à l’ensemble d’où on les a tirés. De collective, elle devient alors individuelle ; elle s’emploie à animer des vibrions, des infusoires ciliés ou des champignons, et ces êtres, qui prennent naissance par la décomposition d’une vie antérieure, vivent séparément, si les circonstances les favorisent. — Cette idée était admise par Buffon ; elle est conforme à l’opinion que récemment M. Fremy énonçait au sein de l’Académie des Sciences ; elle revient à dire que la vie sous une certaine forme peut se continuer sous une autre, et l’on exprime heureusement cette transformation d’une existence en plusieurs autres par le mot d’hétérogénie. Ceux qui acceptent ces idées ne supposent donc point, comme on le croit généralement, que la vie puisse naître de rien ; ils se défendent avec raison d’une telle opinion qui serait inadmissible ; ils supposent simplement comme possible la fragmentation d’une vie qui s’éteint en d’autres existences qui commencent, et qui en seraient la monnaie. Il faut bien avouer qu’une semblable théorie n’a rien de contraire à la saine philosophie.

Plus confîans dans la généralité des lois de la nature, d’autres physiologistes proposent une explication différente. Les petits êtres microscopiques, disent-ils, comme les êtres supérieurs, reçoivent la vie d’ascendans auxquels ils ressemblent et la transmettent sans y rien changer à des individus qui leur succèdent. Si nous ne découvrons

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.