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sûr, un gouvernement qui trouve un tel appui, un tel concours dans l’opinion, n’est pas un gouvernement désarmé par le contrôle ; il ne le serait, je le répète, que s’il voulait agir dans un sens contraire aux intérêts de la nation, comme il l’a été, par exemple, à propos de l’insurrection de Pologne. Le gouvernement, sollicité à une action commune avec la France et l’Autriche contre la Russie, obéissant d’ailleurs à ses sympathies naturelles pour ce noble et malheureux pays, avait cru devoir s’engager dans une action diplomatique au-delà peut-être de ce que commandait la prudence. Il arriva un jour, après la réponse du prince Gortchakof, où, pour être conséquent avec ces préliminaires, il eût fallu passer des paroles aux actes ; l’opinion publique alors s’est prononcée, dans le parlement et dans la presse, pour empêcher qu’on allât plus loin ; il en aurait été de même, selon toute apparence, si le gouvernement avait voulu faire plus qu’il n’a fait pour le Danemark. La cause du Danemark était sympathique en Angleterre, le gouvernement avait pris, dans des négociations diplomatiques, la défense du droit public et du traité de 1852, il l’avait fait peut-être d’une façon qui n’a pas toujours été habile ; mais pour aller au-delà, pour venger l’amour-propre blessé d’un ministère, il aurait fallu plus que l’initiative du gouvernement, il aurait fallu le concours de l’opinion publique, et les débats du parlement anglais nous ont appris qu’on ne l’aurait pas obtenu, car dans cette affaire, comme dans celle de Pologne, l’intérêt anglais ne paraissait pas assez engagé pour que la nation voulût courir le risque d’une guerre qui pouvait devenir générale. En Angleterre, c’est la nation qui a le dernier mot sur la politique, comme elle l’a sur les finances, et c’est là ce qui rend les économies si faciles.

Est-ce à dire que ce contrôle si sévère paralyse les forces du pays ? Pas le moins du monde. Personne ne contestera que l’Angleterre ne soit à l’intérieur une nation des plus prospères. Chaque année, son industrie et son commerce prennent une expansion nouvelle, chaque année son bien-être grandit, et avec lui le niveau intellectuel et moral du pays. Quant à son influence au dehors, elle n’est pas plus contestable : elle peut bien à certains momens subir des éclipses lorsque, comme dans l’affaire du Danemark, on voit l’Angleterre négocier, menacer même sans aboutir ; mais qu’il s’agisse d’intérêts essentiels, aussitôt cette influence apparaît dans toute sa force, elle est même quelquefois un peu brutale, un peu irritante pour les intérêts opposés, témoin ce qui s’est passé en Orient à propos de la question de l’isthme de Suez, où l’égoïsme anglais n’a pas craint de se mettre en travers d’une œuvre utile au progrès de la civilisation.