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il y avait peu de risques à courir, puisqu’elle coûterait au plus une douzaine de soldats : « Passe encore, dit-il vivement, si c’était douze lieutenans-généraux. » Et il tourna le dos à ce donneur d’avis qui faisait si bon marché du sang de la France.

Voilà de nobles fibres assurément ; pourquoi ce cœur héroïque et bon n’était-il pas dirigé par des pensées plus hautes ? Quand on étudie un de ces êtres robustes à qui Dieu a fait don de facultés puissantes, on voudrait découvrir en eux l’idéal de l’homme, et on souffre de les trouver si incomplets. Il faut alors, par manière de consolation, oublier un instant leurs faiblesses et concentrer nos regards sur les grandes parties de leur nature. Les anciens panégyristes faisaient quelque chose de cela, mais sans art, sans philosophie, et ils défiguraient la réalité du caractère individuel en poursuivant l’idéal du genre humain. La critique nouvelle nous interdit à jamais de telles erreurs. Je voudrais que la réalité fût peinte avec franchise, sans que l’idéal fût sacrifié ; je voudrais que, le héros une fois connu avec son fardeau de misères, on pût le relever aux yeux de tous en faisant luire un rayon sur la partie excellente de son être, et que ce fut là une richesse de plus dans le patrimoine de l’humanité ; je voudrais enfin que sa vertu spéciale, détachée, isolée, éclairée d’une flamme, pût inspirer des existences plus pures, des destinées plus complètes et meilleures. Appliquant alors ces idées au personnage dont j’ai essayé de raconter impartialement la vie, je dirais : Demandons à l’avenir de notre pays des génies aussi ardens, aussi actifs, aussi amoureux de la gloire, mais ardens pour autre chose que la guerre, actifs dans le bien sous toutes ses formes, amoureux de cette gloire qui élève l’homme vers Dieu. Et puisqu’il est question d’un illustre auteur de rêveries, je n’hésiterais pas à étendre mon vœu, et j’ajouterais : Puisse chacun de nous, à son rang, dans son ordre, en vue de l’œuvre que lui a confiée la Providence, puisse chacun de nous déployer l’ardeur qui demeurera le signe distinctif de Maurice de Saxe à travers les âges, cette ardeur si bien décrite par sa petite-fille, quand elle nous le montre, d’après le pastel de Latour, « avec sa cuirasse éblouissante, avec sa belle et bonne figure, qui semble toujours dire : En avant, tambour battant, mèche allumée ! »


SAINT-RENE TAILLANDIER.