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verba. Le 30 novembre 1750, entre six et sept heures du matin, il expirait.

Un songe, et rien de plus ! Pas un regard sur la vie à venir, pas une pensée du compte à rendre, pas un mot des craintes salutaires ou des sublimes espérances de l’éternité. À quoi bon des facultés si énergiques pour les abandonner au néant ? Mme de Pompadour a écrit dans une de ses lettres : « Le pauvre Saxe est mort dans son lit comme une vieille femme, et, tel que M. de Catinat, ne croyant rien, et peut-être n’espérant rien[1]. » Il est impossible pourtant que chez un Catinat l’incrédulité religieuse ne fût pas une négation réfléchie, une révolte de la pensée, un désespoir taciturne. Le désespoir est encore un acte de la vie morale ; mais que dire de cette insouciance absolue ? Trois années auparavant, le maître de Maurice, le chef qui avait protégé ses débuts, le général illustre qui lui répétait souvent : « Mon enfant, il faut craindre Dieu ! » s’éteignait à Vérone, plein d’années, plein de gloire, emportant toute une moisson d’œuvres viriles, et l’on trouvait dans ses papiers ces touchantes paroles : « Je ne songe plus qu’à m’en aller sous terre en homme d’honneur et avec bonne conscience, louant continuellement le Seigneur de m’avoir conduit si bénignement pendant ma longue vie, per medios casus, per tot discrimina rerum[2]. » Quel contraste entre l’élève et le maître, entre le comte de Saxe et le comte de Schulenbourg ! Il ne faut donc pas dire que le temps où nous vivons est responsable de nos destinées ; nous sommes libres, et le XVIIIe siècle, malgré la corruption générale, peut montrer encore plus d’une austère figure qui ne commande pas seulement l’admiration, mais le respect.

Il y a pourtant bien des choses qui plaident en faveur de Maurice de Saxe et qui doivent atténuer la rigueur de notre jugement : n’oublions pas ses grandes qualités ; sachons-lui gré d’être resté généreux malgré l’absence de ces principes supérieurs sans lesquels l’homme retombe si aisément au-dessous de lui-même. Honorons en lui cette humanité instinctive qui a suppléé souvent dans son âme aux inspirations de la conscience morale. La France l’a pleuré. Je ne par le pas seulement des honneurs magnifiques rendus au vainqueur de Fontenoy, de Raucoux, de Lawfeld, à l’homme qui en Alsace et en Belgique, du Rhin à l’Océan, a été si longtemps le rempart de notre pays contre l’invasion étrangère. Je ne parle pas non plus des hommages sans nombre adressés à sa mémoire. Que le lugubre canon de Chambord, tiré de quart d’heure en quart d’heure

  1. Lettres de madame la marquise de Pompadour, Londres 1772, t. III, p. 81.
  2. Leben und Denkwürdigkeiten Johann Mathias, Reichsgrafen von der Schulenburg, 2 vol., Leipzig, 1834. Voyez t. II, p. 295.