Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profond respect avec lequel je serai toute ma vie, sire, de votre majesté, le très humble et très soumis serviteur et sujet[1],

« MAURICE DE SAXE. »


On voit que le vieux charretier aime encore à entendre claquer le fouet. Cet escadron d’amazones, ces jolis officiers reclus comme des moines, voilà une rencontre pleine de promesses et qui le met d’avance en gaîté. Il a beau s’excuser auprès du roi son frère, dont les mœurs sont plus graves malgré ses préoccupations chorégraphiques : il est difficile de le contredire quand il dénonce lui-même le métier qu’il fait là, ce métier conforme à la vie qu’il a menée.


III

Telles furent les dernières occupations de l’homme qui avait accompli tant de grandes choses et remué tant de projets audacieux. Trois semaines après la missive qu’on vient de lire, le comte de Brühl écrivait à Maurice de la part du roi de Pologne : « En considération de votre bon témoignage, sa majesté permet à la petite Rivière de rester non-seulement cet hiver, mais encore tout l’été prochain en France pour se perfectionner. » Ainsi les affaires d’une danseuse, les fêtes préparées pour la princesse de Sens et sa galante escorte, voilà les dernières pensées que renferme la correspondance du vainqueur de Fontenoy ! Sur la fin de cet automne réservé aux voluptueux galas, Maurice était emporté par la fièvre après quelques jours de souffrance.

Cette mort presque subite a donné lieu à des bruits bien opposés. Une explication trop naturelle se présentait d’abord à l’esprit. Maurice, quelle que fût la vigueur de son tempérament, ne pouvait résister longtemps à une vie meurtrière ; à force de défier la nature, il avait attiré sur lui les coups de la Némésis. Une rumeur d’un autre genre éclata immédiatement à Chambord et se répandit jusqu’à Paris. On lit dans le journal du marquis d’Argenson, à la date du 3 décembre 1750, c’est-à-dire trois jours seulement après la mort de Maurice : « Le bruit est dans le peuple que le maréchal de Saxe a été tué dans la forêt de Chambord et y a reçu des coups d’épée, ce qui n’est point vrai ; il est mort d’une fluxion de poitrine négligée d’abord, puis devenue incurable. » Le marquis d’Argenson a-t-il bien le droit d’employer un langage aussi affirmatif ? Deux ans et demi auparavant, le 4 mars 1748, le comte de Coigny ayant été tué en duel sur la route de Versailles

  1. Maurice oublie assez souvent qu’il a reçu des lettres de naturalité chez nous, et qu’il est le sujet du roi de France.