tout s’est rétabli le lendemain, et elle se porte à souhait. Sa douceur, sa constance, et le courage qu’elle a fait paraître pendant un travail assez pénible, lui ont attiré la tendresse du roi et de toute la cour. Le roi lui a constamment tenu la main, pendant le travail, et l’on peut dire qu’elle est accouchée entre ses bras. Aussi en suait-il à grosses gouttes. Il faisait fort chaud ce jour-là, et la quantité de monde qu’il y avait dans son appartement faisait que l’on y fondait. J’ai obtenu du roi et de la reine qu’il plût à sa majesté de lever toutes les entrées pendant neuf jours, ce qui a été un grand soulagement à Mme la dauphine, mais qui a fait crier tout le monde, parce que cela est contre l’étiquette et n’a jamais été pratiqué. Ma principale raison a été le danger qu’il y a d’approcher une femme en couches avec des odeurs, et tout le monde en a ici, peu ou beaucoup ; les habits en sont imprégnés et les sentent toujours, quoiqu’ils disent qu’ils n’en mettent point. Enfin, Dieu merci, la voilà bien portante, et en train de donner une postérité nombreuse à la France.
« J’ai vu danser la petite Rivière une fois à la Comédie-Française à Paris ; elle y est applaudie à toute outrance. Votre majesté la trouvera changée en bien au-delà de ce qu’elle peut en attendre pour le peu de temps qu’elle a été ici ; mais elle s’est fort appliquée, et Maltoire est le meilleur maître qu’il y ait sans contredit. Si votre majesté la laissait encore ici pendant l’hiver, elle aurait une danseuse parfaite ; mais la mère n’est pas en état de soutenir cette dépense, et il faudrait que votre majesté y sacrifiât quelque cents ducats. Pour Mlle Favier, je ne sais ce qu’elle fait ; sa mère est une folle qui gâte ce que Maltoire corrige ; il n’en est pas content d’ailleurs, elle ne travaille pas avec ardeur et a perdu du temps. Je ne les ai vues qu’une fois et ai lavé la tête à la mère…
« Mlle de Sens vient passer une partie de l’automne chez moi, à Chambord, avec une trôlee[1] de femmes de la cour. Je leur donnerai des chasses dans les toiles[2], la comédie et le bal tout le jour, et pour cet effet j’ai arrêté la troupe des comédiens qui est des voyages de la cour à Compiègne, à qui je ferai manger force biches et sangliers. Je compte que ces dames s’amuseront fort bien ; j’ai un corps d’officiers très bien choisi, de jolie figure, jeunes et reclus comme des moines dans le château de Chambord. On irait plus loin pour trouver cela, et l’on commence déjà à en médire ; mais elles viendront ici, quoi que l’on en puisse dire. Votre majesté trouvera peut-être que je fais un métier conforme à la vie que j’ai menée ; c’est le sort des vieux charretiers d’aimer encore à entendre claquer le fouet. À tout pécheur soit fait miséricorde ! Si j’en fais un de procurer des plaisirs à mon prochain, mon intention n’est pas qu’ils soient criminels, et ce que j’en dis n’est que pour amuser un moment votre majesté. Toutes ces dames sont sages ; elles aiment à rire, et j’espère que c’est tout… Recevez avec votre bonté ordinaire, sire, les assurances de ma soumission et du