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domaine. Est-il vrai qu’il se soit attribué le droit de mort, le droit de grâce, c’est-à-dire les prérogatives les plus redoutables du souverain pouvoir ? La légende a beau affirmer que les houlans étaient pendus pour la moindre infraction à la discipline, elle a beau nous signaler un arbre qui servait aux exécutions et que la foudre frappa au mois de mai 1820 comme pour purifier la royale demeure souillée par ces souvenirs, il est difficile de se représenter le héros de Fontenoy peuplant le parc de Chambord des hideuses images que Louis XI étalait si volontiers dans le bois de Plessis-lez-Tours. Un voyageur, étonné de certains récits terribles que le nom du maréchal de Saxe rappelle encore aux gens du pays, a voulu remonter à l’origine des faits si évidemment travestis par l’imagination populaire. Qu’a-t-il trouvé ? Une simple plaisanterie infligée à un impertinent qui aurait pu s’attirer une leçon plus dure. Un jeune homme de Blois, admis dans la salle du festin un jour de grand couvert, avait parié avec un ami qu’il ferait baisser les yeux au vainqueur de.Lawfeld. Il se pose hardiment en face de Maurice et tient ses regards attachés sur lui. Cette hardiesse, disons-le en passant, attestait une singulière confiance dans la bonté du héros. Maurice rencontre une première fois ce regard fixe et détourne la vue. À la seconde fois, il s’étonne, et un instant après, quand il n’a plus de doute sur l’intention du personnage : « Qu’on aille me chercher, dit-il, le capitaine Babasch. » C’était une vieille moustache rousse comme on n’en voyait alors que chez les houlans, un bouledogue de Dalmatie qui se serait fait mettre en pièces pour son maître, et dont la vue seule inspirait la terreur. Le capitaine accourt : « Ouvre cette croisée, lui dit le maréchal, prends cet insolent que tu vois en face de moi, en habit gris et en veste écarlate, et jette-le dans les fossés du château. » À ces mots, on le devine, l’étourdi prend son élan, traverse la salle, les vestibules, les cours, les ponts-levis, et arrive tout tremblant aux portes de Blois, pendant que les convives riaient encore dans le salon de Chambord. Il n’est pas probable que le capitaine dalmate ait jamais jeté d’autre victime que celle-là dans les fossés du château, et si quelque houlan a été condamné à mort par le maréchal, c’est que la justice l’avait voulu.

Avec les grands couverts, il y avait aussi les représentations dramatiques ; le palais de Chambord avait son théâtre comme tous les palais des souverains. Aucun luxe royal ne devait plaire davantage au héros si souvent couronné par les reines d’Opéra. C’est lui-même qui avait transformé le second étage du donjon en salle de spectacle ; quand Louis XIV réservait pour Chambord la première représentation du Bourgeois gentilhomme, Molière et ses camarades y étaient moins bien installés que ne le furent un siècle plus tard les comédiens ordinaires de Maurice. Chaque hôte illustre imprimait