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de Madagascar obéissaient peut-être à des inspirations semblables ; en tout cas, ils frappèrent plus juste en ouvrant à ce chercheur de couronnes le mystérieux domaine de l’inconnu. Soit que Maurice n’eût plus aucun espoir du côté de la Courlande, soit qu’un projet réchauffé lui parût insipide, on ne voit pas qu’il se soit prêté aux intrigues dénoncées avec colère par le marquis d’Argenson. Quant à cette idée singulière de fonder une sorte d’empire à Madagascar, dès qu’elle lui fut suggérée, son imagination l’accueillit avec feu.

Il y avait déjà un certain nombre d’années que l’île de Madagascar était le point de mire des ambitions les plus aventureuses. Trente-cinq ans avant l’époque où Maurice conçut le projet de coloniser ce pays, deux personnages qui ne lui ressemblaient point, le marquis de Langallerie et le comte de Linange, s’étaient parés du titre de rois de Madagascar ; mais je me garderais bien de rappeler leurs noms suspects à propos du glorieux nom de Maurice de Saxe, s’il ne fallait indiquer au moins quelle fièvre d’entreprises agitait la société du XVIIIe siècle. Les folles tentatives de ces deux hommes, oubliées aujourd’hui, avaient fait assez de bruit sous la régence. Maurice n’avait pu les ignorer, puisque nous en devons les principaux détails aux diplomates saxons[1]. Ces fourberies d’ailleurs recouvraient un fonds de vérité ; il y avait au sud-est de l’Afrique un pays plein de richesses naturelles, de richesses abandonnées, car ce n’était qu’un repaire de flibustiers attendant des colons et un maître. Comment s’étonner que l’ancien prétendant au duché de Courlande ait eu l’ambition de réaliser sérieusement dans cette grande île ce qui n’avait été pour Langallerie et Linange qu’une occasion de rêveries saugrenues et de rapines effrontées ? Le marquis d’Argenson nous le dit expressément à la date de novembre 1748 : « Le maréchal de Saxe a demandé au roi le don et la souveraineté de l’île de Madagascar pour la faire habiter par des familles allemandes qu’il sait pauvres et qui iraient bien s’y établir ; mais il demandait trop d’avances et surtout des vaisseaux de la compagnie des Indes. » D’Argenson ajoute : « Il s’est réduit à l’île de Tabago, en Amérique, dont nous ne faisons plus d’usage, et on la lui accorde comme souveraineté dépendante et tributaire de notre couronne. » Qu’est-ce que l’île de Tabago ? Une des petites Antilles, qui avait appartenu tour à tour aux Espagnols, aux Anglais, aux Hollandais, et qui était tombée alors entre nos mains. Elle était presque inhabitée. Maurice vit là une colonie d’autant plus intéressante

  1. Dans la seconde série de son recueil intitulé aus vier Jahrhunderten, M. de Weber a cité, d’après les dépêches d’un ministre saxon, le traité conclu entre le marquis de Langallerie et Osman-Aga, ambassadeur turc en Hollande. Le marquis de Langallerie s’y donne, entre autres titres extravagans, celui-ci : généralissime de la théocratie du verbe incarné.