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dans un bon couvent où l’on a toutes les attentions imaginables pour moi. » Elle écrit d’Angers un mois plus tard : « On m’a mise dans un couvent de force… Ne dites à qui que ce soit que je vous ai écrit. Feignez de ne pas savoir où je suis. Ne cherchez point à m’écrire, cela ne pourrait jamais me parvenir. Je crois que l’on craint que je ne dise que ce sont d’autres que mon père qui m’ont fait mettre ici, et on me changerait encore de couvent pour me mettre je ne sais où, peut-être a mille lieues… » D’autres que son père ! la pauvre femme avait enfin compris d’où venait la persécution. Son mari l’apprenait aussi de son côté. À ce moment-là même, Favart, toujours poursuivi, toujours obligé de se cacher, et qui, réfugié chez un curé de campagne, n’avait trouvé d’autre asile que la cave de son hôte, disait à un de ses correspondans : « La plupart de mes amis m’ont abandonné. Il n’y a que l’infamie qui s’offre à me tirer du précipice. J’y resterai… Mes malheurs me sont chers. »

Nous aurions encore bien des choses à dire, si nous avions la prétention de donner l’histoire complète de ce douloureux épisode. Il faudrait tenir compte d’un document dont personne jusqu’ici n’a fait usage, et qui semble renfermer la conclusion du drame. C’est une brochure portant ce titre : Manuscrit trouvé à la Bastille le mardi 14 juillet 1789[1]. Elle renferme un rapport de l’exempt Meusnier sur l’arrestation et l’emprisonnement de Mme Favart, six lettres du maréchal à la captive, et quatre réponses de celle-ci au maréchal. Le rapport de l’exempt est daté du 23 mars 1750 ; la correspondance de Maurice de Saxe avec la courageuse Justine appartient aux mois de novembre et de décembre 1749. En lisant ces pages encore toutes palpitantes, on s’aperçoit bien vite que la pauvre femme, épuisée par la lutte, est devenue folle de douleur. Qui aurait le courage de tourner contre elle les cris qui lui échappent ? Il y a des instans où elle s’abaisse jusqu’à flatter son ennemi. N’abusez pas d’une parole imprudente que dément tout aussitôt la page voisine. Il est manifeste qu’elle est en proie au délire. La gazelle se débat sous les griffes du lion, et le lion a beau faire patte de velours, il n’est pas fâché qu’on sente sa griffe. Voilà donc où la sensualité peut conduire les plus généreuses natures ! Maurice écrit à Mme Favart, pendant que la pauvre femme sous les verrous

  1. C’est le titre général inscrit à la première page. Le second titre est formulé ainsi : Manuscrit trouvé à la Bastille, concernant deux lettres de cachet lâchées contre Mlle de Chantilly et M. Favart par le maréchal de Saxe. 1789. — Nous devons l’indication de cette curieuse pièce à l’éditeur des Mémoires du marquis d’Argenson, le docte et obligeant M. Rathery. Le manuscrit de la Bastille contient sans doute quelques textes qui peuvent sembler au premier abord un peu embarrassans pour les défenseurs de Mme Favart ; mais nous croyons comme M. Rathery qu’une lecture attentive de ces pièces en explique tous les points obscurs, et que le manuscrit de la Bastille, après avoir compromis un instant la malheureuse femme, la réhabilite plus complètement.