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et j’ai couché sur la paille, à la belle étoile, depuis que je t’ai quittée. Si l’on te pressait de partir, implore le secours de Mme la duchesse de Chevreuse ; elle pense trop juste pour te refuser sa protection dans un point aussi essentiel, et les bontés, dont elle nous a honorés en sont une preuve certaine. » Malgré la protection de la duchesse, Mme Favart se sentait encore trop près du maréchal ; au lieu de retourner à l’armée, elle se rendit à Paris et y vécut fort retirée. Sur ces entrefaites, les propriétaires du théâtre de Bruxelles que Maurice avait occupé lui-même pour sa troupe d’acteurs, et dont il avait fixé le prix à 150 ducats par an, réclament à Favart une somme de 26,000 francs pour le loyer de leur salle.

Comment ne pas voir ici la main du gouverneur des Flandres ? Cette femme qui lui a résisté dans l’éclat de ses succès sera vaincue sans doute par la misère ; il faut ruiner ce ménage trop uni, et que cet honneur dont ils sont si fiers périsse dans leur désastre ! Voilà donc Favart poursuivi devant les tribunaux de Belgique ; ses adversaires obtiennent un décret de prise de corps contre lui et une saisie des effets de son magasin. Il fuit après avoir assuré le sort de ses camarades. Il va trouver le maréchal à Paris, à Chambord, car tout cela se passe en 1749, au moment où nous sommes occupés à rendre nos conquêtes et où le vainqueur de Fontenoy vient de quitter le gouvernement des Flandres ; mais le gouverneur de la veille est encore assez puissant aujourd’hui pour faire respecter son drapeau. S’il n’est pas complice de l’iniquité dont Favart est victime, il doit se sentir atteint du même coup. Que n’agit-il ? que ne parle-t-il ? Favart invoque son témoignage, et Maurice s’en tient à de vaines promesses pendant que le malheureux est pourchassé de tous côtés par les limiers de la police. Hélas ! on devine trop bien la tactique de son ennemi : séparer le mari et la femme, éloigner Favart et réduire Justine au désespoir, voilà son plan de campagne. Le comte Almaviva, dans le Figaro de Beaumarchais, veut faire du mari de Suzanne un courrier d’ambassade pour l’envoyer sur les grands chemins ; il imite Maurice de Saxe, qui propose à Favart « un emploi honnête » dans la capitale du roi de Pologne en même temps qu’il offre à Justine une sorte de pension pour subvenir à ses embarras du moment. Justine s’en passera bien, ses talens lui suffisent. Le 5 août 1749, elle débute à la Comédie-Italienne avec un succès d’enthousiasme. Bientôt cependant, ne pouvant se résigner à vivre loin de celui qu’elle aime, et qui souffre à cause d’elle, l’imprudente se sauve de Paris au moment où la comédie allait donner des représentations à Fontainebleau, et va rejoindre son mari caché dans Lunéville (7 octobre). Le lendemain, elle est arrêtée par deux exempts qui l’ont suivie, et conduite sous bonne garde aux