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Zaïre, obligée de quitter son maître de déclamation, avait été recueillie par le prince de Turenne. Le prince lui-même avait traité l’affaire directement avec Marmontel. De cette union nouvelle naquit plus tard un fils qui devint l’abbé de Beaumont. Or, tandis que les indiscrétions posthumes de l’ami de Voltaire désolaient Aurore de Saxe, son frère l’abbé en prenait plus facilement son parti. « Beaumont assure que cela ne mérite pas le chagrin que tu t’en fais. » C’est M. Maurice Du Pin, le fils d’Aurore de Saxe, qui console sa mère en ces termes, et après avoir rappelé que le mal est sans remède, qu’on ne pourrait acheter l’édition, que les exemplaires vendus n’en auraient que plus de valeur, et qu’il en paraîtrait bientôt de nouvelles éditions conformes à la première, car la liberté d’écrire, grâce à 89, est désormais à l’abri des lettres de cachet, il ajoute ces cordiales paroles : « Je comprends bien que tu souffres d’entendre parler si légèrement de ta mère ; mais en quoi cela peut-il atteindre ta vie, qui a toujours été si austère, et ta réputation, qui est si pure ? Pour mon compte, cela ne me fâche guère qu’on sache dans le public ce qu’on savait déjà de reste dans le monde sur ma grande-mère maternelle. C’était, je le vois par les Mémoires en question, une aimable femme, douce, sans intrigue, sans ambition, très sage et de bonne vie, eu égard à sa position. Il en a été d’elle comme de bien d’autres. Les circonstances ont fait ses fautes, et son naturel les a fait accepter en la rendant aimable et bonne. Voilà l’impression qui me reste de ces pages dont tu te tourmentes tant, et sois certaine que le public ne sera pas plus sévère que moi. » Rien de plus juste. Ce n’est pas seulement un petit-fils qui parle, c’est un homme de sens. Parmi les plus nobles familles de notre société régénérée, y en a-t-il beaucoup aujourd’hui qui n’aient pas besoin d’invoquer les mêmes excuses ? Il n’en est pas moins vrai que le vainqueur de Fontenoy, battu par Marmontel et mettant toute la cour dans la confidence de sa mésaventure, ressemble à un personnage de comédie.

À côté de cette fâcheuse histoire, en voici une autre qui n’est pas seulement ridicule. Nous avons parlé de cette gentille fée, Justine Duronceray, qui jouait l’opéra-comique dans les camps du maréchal de Saxe, et qui, à la veille de Raucoux, annonçant la bataille du lendemain, entonnait d’avance le chant de victoire. L’année même où Maurice était supplanté par Marmontel auprès de Mlle Verrières, Justine Duronceray, devenue Mme Favart, était persécutée de mille manières par le maréchal de Saxe, obligée de fuir Paris, poursuivie, arrêtée, emprisonnée dans un couvent. Vingt-trois ans plus tard, le baron Grimm, apprenant la mort de l’actrice célèbre qui dans plusieurs de ses rôles avait « tourné la tête à tout Paris, » racontait à ses correspondans d’Allemagne les prétendues