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il n’est pas moins certain qu’elles ne peuvent détruire un titre fondé sur le vœu unanime d’une nation libre. Aussi toutes les cours de l’Europe, à l’exception de celle de Vienne, ne font aucune difficulté de déférer au comte Maurice de Saxe le traitement de prince, que celles de Pologne, de Saxe, et plusieurs autres d’Allemagne et du Nord ont toujours accordé à sa naissance, indépendamment de son élévation à la dignité de duc souverain de Courlande. Le comte Maurice de Saxe ne demande pas que sa majesté le reconnaisse duc de Courlande ; cette justice qui lui serait rendue pourrait avoir des inconvéniens par rapport aux intérêts politiques de l’état, qu’il préférera toujours à tout ce qui lui est personnel ; mais s’il a eu le bonheur de servir utilement sa majesté, ainsi qu’elle a daigné l’en assurer en des termes trop flatteurs et trop glorieux pour lui pour qu’il ose les répéter, il croit pouvoir espérer de sa bonté qu’elle voudra bien lui accorder le traitement, rang et honneurs dont jouissent les princes de maison souveraine établis dans le royaume. Cette distinction doit être d’autant moins enviée au comte Maurice de Saxe qu’il a l’honneur d’être oncle de Mme la dauphine. »


Cette pétition, trouvée dans les papiers du maréchal, a-t-elle été remise à Louis XV ? est-elle devenue l’objet d’une délibération ? L’histoire n’en dit rien. Une chose certaine toutefois, c’est que Maurice s’attribuera lui-même ce qu’on voudra peut-être lui refuser. Toute occasion lui sera bonne pour marquer son rang à part et ne point se confondre avec les sujets du roi de France. Candidat perpétuel aux souverainetés vacantes, il affirmera sans cesse par ses demandes comme par ses songes le droit qu’il revendique. Il essaiera de mettre en action les rêveries qu’il rédigeait seize années auparavant sous l’inspiration de la fièvre. Non certes, ce n’est pas un voluptueux à la façon de François Ier ou de Louis XIV qui va s’établir en ce féerique Chambord, c’est un soldat possédé de la fureur de régner. À peine a-t-il mis la main sur la merveille du XVIe siècle, il y fait bâtir des casernes et des haras ; le palais de Diane de Poitiers, purifié par la bonne reine de Pologne, doit loger un millier de houlans. On entendra le piaffement des chevaux, le son des clairons, la voix des sentinelles sur les remparts, sauvages harmonies qui répondront aux tumultueuses pensées du maître. Qu’il prenne garde alors aux mauvais conseils de l’ambition déçue ; l’oisiveté est funeste à ces natures de feu, et le noble Maurice pourra être entraîné à des actes peu dignes de la générosité de son cœur. Passe encore, s’il ne s’expose qu’au ridicule. Oui, des passions sans frein qui tantôt feront rire à ses dépens, tantôt le pousseront à des violences odieuses, — des rêves grandioses et bizarres qui tourmenteront son génie sans emploi, voilà ce qui va remplir pendant deux ans les loisirs forcés du souverain de Chambord.

Au commencement de l’année 1748, pendant qu’il méditait encore sa brillante expédition de Maastricht, Maurice, qui allait souvent