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pour celui où Carmen lui était apparue si étrangement pour la première fois, à lui et au vaquiano. Un peu avant les premiers arbres, un immense terrier de viscachos élevait ses monticules d’argile jaunâtre couronnés par des touffes d’herbes épaisses. Le soleil était encore haut sur l’horizon et la chaleur étouffante. Sir Henri avisa derrière un gros arbre une place recouverte d’un fin gazon, et s’y étendit pour se reposer quelques instans ; peu à peu le sommeil le gagna, et il s’endormit profondément. Lorsqu’il se réveilla, la nuit était venue ; mais le firmament était si bleu, et les rayons stellaires si éclatans, qu’on distinguait à peu près tous les objets. Sir Henri se disposait à se lever, lorsqu’il entendit très près de lui la voix de Carmen et celle de José. Ils étaient à côté du terrier, et sir Henri ne perdait pas une de leurs paroles.

Mamita Carmen, disait José d’une voix presque suppliante, je vous en prie, ne cachez pas cela à don Estevan, allez lui tout révéler.

— Moi ? s’écriait Carmen presque avec colère, et pourquoi ?

— Parce que garder les choses qui ne nous appartiennent pas, c’est voler.

— Voler ? répliqua Carmen avec un rire strident. Tu appelles cela voler ! Les Espagnols ne nous ont-ils pas tout enlevé, terrain, chevaux et bétail ? Ne nous ont-ils pas constamment repoussés vers le nord, dans le Grand-Chaco ? Et quand nous reprenons ce qui était à nous primitivement, on nous traite de voleurs !

— Mais enfin, ma mère, reprit José, est-ce vous qui avez amassé ces richesses ? Les avez-vous acquises par votre travail ? Quel droit y avez-vous ? Aucun, ce me semble, et en retour de toutes les bontés que don Estevan a eues pour nous depuis quinze ans, vous voudriez le frustrer de son bien ! Non, non, mamita, reprit-il d’une voix plus douce, vous ne ferez pas cela. Vous irez vous-même dire à don Estevan que vous pouvez lui indiquer la place des trésors de Santa-Rosa.

Il y eut un silence ; Carmen ne répondait pas. — Mamita, reprit José, vous ne m’avez pas dit comment vous avez découvert la cachette des oncles de don Estevan ?

Carmen répondit avec humeur et d’une voix saccadée : — Une nuit, je revenais du bois, il faisait très clair, je vis un viscacho qui creusait son terrier et rejetait la terre au dehors ; quelque chose brillait au milieu de l’argile : je me baissai, je vis une piastre, puis deux, puis une once d’or. Le lendemain, je revins ici avec une bêche, et là, au milieu du terrier, où l’herbe est un peu jaunie et le sol remué, je découvris un grand coffre de fer et plusieurs tercios solidement recousus.