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gloire, par l’esprit de Dieu. » Autrefois une armée de servantes n’était occupée qu’à disposer ses cheveux ; sa tête innocente était torturée sous l’étreinte des bandeaux et la boucle des mitres : elle sait maintenant qu’un voile suffit. Autrefois elle accusait de dureté jusqu’à la mollesse des plumes, et à peine pouvait-elle dormir sur des lits hauts comme des maisons : elle couche à présent près de terre, et, la première levée pour prier, donnant aux autres de sa voix argentine le ton de l’Alléluia, elle est la première à louer son Dieu. Ses genoux délicats pressent la terre nue, et des larmes abondantes lavent sur ses joues ce qui restait des anciens fards. Les vêtemens de soie éclatans ont fait place sur elle à une simple tunique de couleur rousse ; des brodequins communs succèdent aux chaussures dorées, dont le prix sert à nourrir les pauvres, et, au lieu d’une ceinture plaquée d’or et de pierres précieuses, un simple cordon de laine pure serre sa robe sans la couper. Que si quelque scorpion, quelque serpent à la voix mielleuse, veut lui persuader de retourner au fruit défendu, elle l’écrase d’un anathème comme de son talon, et lui crie, pendant qu’il se débat mourant dans la poussière : « Arrière, Satan ! »


Les parens de Blésille et de Paula ne se méprirent pas sur cette dernière allusion, et n’attendirent que le moment de se venger. Les gens du monde, tièdes chrétiens ou païens, ne virent aussi dans la lettre de Jérôme qu’une critique publique de leur vie. Quant à lui, devenu le père de la convertie, en esprit et en charité, comme il s’exprime lui-même, il s’attacha à former son intelligence aussi bien que son âme. Blésille et Eustochium étaient « ses apprenties. » Il lut le livre de l’Ecclésiaste avec la première pour la confirmer dans le mépris des vanités terrestres. Blésille possédait, comme toutes les femmes de sa famille, beaucoup d’instruction et une rare facilité pour les langues. Quand elle parlait grec, on doutait qu’elle fût Romaine, et quand elle prononçait le latin, on eût vainement cherché dans sa parole la trace d’un accent qui ne fût pas le plus pur accent du Latium. À ces deux langues, elle voulut joindre l’hébreu, et en peu de semaines elle parvint à lire et à comprendre passablement les psaumes. Ce fut une grande joie pour tous quand on la vit unir son chant à celui de sa mère et de sa sœur dans les mélodies du roi-prophète, sous les lambris de l’église domestique. Ainsi la communauté faisait des conquêtes illustres, et l’esprit de réforme, introduit au sein de familles puissantes, commençait à se flatter d’une victoire prochaine : un orage subit vint ébranler toutes ces espérances et troubler la sérénité de Jérôme.


IV

Les idées monastiques, partout où elles s’implantaient, amenaient avec elles le débat de deux questions qui étaient dans leur essence