Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette société de matrones chrétiennes, qu’il avait vue se former au temps de sa jeunesse, et qui pouvait lui fournir maintenant un point d’appui pour ses projets de réforme. Il en connaissait personnellement quelques-unes, toutes le connaissaient par ses lettres, et il fut bientôt l’âme du petit couvent patricien. Ce monde gracieux et éclairé lui plaisait ; on le lui reprocha souvent. « Jérôme, disait-on, s’occupe plus volontiers de l’instruction des femmes que de celle des hommes. — Si les hommes m’interrogeaient sur l’Écriture, je n’aurais pas à parler aux femmes, » répondait-il à ses détracteurs. Marcella fut une de celles qui profitèrent le plus de ces savantes et pieuses relations. « Tout le temps que je restai à Rome, nous dit-il, elle ne me vit jamais sans me faire quelque question sur un point d’histoire ou de dogme, ne se contentant pas, comme les pythagoriciens, de la première réponse venue, et ne se laissant pas tellement imposer par l’autorité qu’elle se rendît sans examen. Souvent même mon rôle changeait en face d’elle, et de maître je redevenais disciple. » Le savoir de Marcella était tellement sérieux que les prêtres ne rougissaient pas de la consulter quelquefois sur des questions d’exégèse obscures ou douteuses. Albine, sa mère, la suivait de loin dans ce goût pour les études sacrées ; les autres membres du conventicule s’en rapprochaient davantage. C’était en somme une savante congrégation de femmes du monde qui pouvaient inspirer de la jalousie et presque de la crainte à plus d’un docteur de Rome.

L’église domestique, comme Jérôme aimait à l’appeler, avait subi la destinée des choses de ce monde ; elle avait gagné et perdu, mais ses accroissemens dépassaient de beaucoup ses pertes. Elle s’était d’ailleurs développée au dehors par la fondation d’établissemens subordonnés, recrutés dans les rangs inférieurs de la population romaine, couvens de vierges ou de veuves, maisons de nouveaux convertis, hommes et femmes, hospices de malades que l’association de l’Aventin protégeait ou dirigeait, sans s’y mêler plus qu’il ne convenait à la condition de ses membres. Tout n’était cependant pas or dans la mine, ni bon grain dans la moisson, et de temps à autre Satan prenait son crible et réclamait pour lui l’ivraie. Plus d’une jeune fille, infidèle à sa vocation, quittait le voile des vierges pour rentrer dans le monde, et même au sein de l’église domestique la fantaisie de se remarier prenait parfois aux veuves, quand elles étaient jeunes et jolies. Il n’y eut pas jusqu’à Furia, la fière descendante de Camille, qui ne méditât une de ces désertions que les amies n’apprenaient qu’avec douleur ; mais pour le moment Furia en était encore aux scrupules. En revanche, la congrégation avait conquis la jeune Eustokhie, fille de Paula, dont je parlerai bientôt