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avec ces teintes légèrement fondues et adoucies. Quant au marquis de Villemer, c’est une figure qui nous revient, elle aussi, transformée sans être amoindrie. Ribes, l’ardent artiste mort à la tâche, n’a pas emporté avec lui le secret de cette passion tour à tour haletante, contenue et sombre, qui fait du marquis de Villemer une des conceptions les plus attachantes de notre roman et de notre théâtre. Laroche, qui a repris le rôle, s’en acquitte à merveille. Son geste est assurément moins fébrile, il y a parfois dans son regard un peu trop de calme et de sécurité ; mais sa voix, moins défaillante que celle de Ribes, sait trouver des accens non moins amers et douloureux.

Les nouvelles pièces, les menus succès du moment sont bien loin d’offrir en soi les mêmes ressources d’interprétation et le même fonds d’idées fécondes. En premier lieu se présente une comédie en trois actes, Un Ménage en ville, que M. Barrière vient de donner au Gymnase. M. Barrière est un des représentans principaux de ce genre mélangé qui a emprunté au romantisme l’imagination, à l’école réactionnaire venue ensuite la logique et le bon sens bourgeois, au réalisme enfin la crudité des peintures et surtout l’exclusive préoccupation du détail des mœurs contemporaines. M. Barrière est de ceux qui semblent parfois deviner les conditions complexes du drame nouveau, mais qui, ne pouvant réussir à trouver l’ensemble et le plan symétrique de l’édifice, cessent vite d’en prendre souci. Quand cet auteur, il y a huit ans, a produit les Faux Bonshommes, on a crié un instant à la résurrection de la vraie comédie. Cet enthousiasme était un peu brusque et irréfléchi. Ce n’est pas que M. Barrière n’eût apporté rien de nouveau et d’original à la scène : des applaudissemens aussi énergiques et moins mérités ont salué depuis des dramaturges dont l’invention et le talent sont plus contestables ; mais à propos des Faux Bonshommes on s’était, je crois, abusé sur la perspective ; on jugeait mal, sinon des mérites particuliers de l’œuvre, du moins de ses dimensions. M. Barrière, par ses qualités comme par ses défauts, avait pu tourner facilement la tête à certains juges superficiels, qui regardent surtout le dehors et s’en tiennent aux choses de détail ; il ne s’est point emparé de ceux qui apprécient en thèse absolue, qui ont le sentiment de l’art avec des élans vers l’avenir, et qui ont suivi d’un œil attentif le mouvement de la scène française depuis trente années. Comme le propre de M. Barrière est de réussir assez bien dans l’exécution des détails, dans les petites scènes, et que son dialogue a de soudains épanouissemens remplis de charme et d’imprévu, il n’en fallait pas davantage pour qu’il séduisît de prime abord les intelligences accessibles à ces appâts ; mais qu’on examine avec attention, au point de vue de l’art, sa manière et ses procédés : n’est-on pas forcé de convenir que ses comédies en général ne sont point des œuvres soutenues, homogènes et bien cimentées, que l’auteur sait construire habilement, au moyen de pièces rapportées, des mosaïques plus ou moins heureuses, mais qu’il s’est arrêté, comme bien d’autres, pour cueillir à droite et à gauche quelques fleurs douteuses, au milieu de ce grand chemin qui seul conduit un artiste au but ?

Certes-la peinture de ce qu’on appelle le réalisme, c’est-à-dire des types fugitifs du jour et des drôleries contemporaines dans toute leur exactitude matérielle, présente de grandes séductions et surtout de grandes, facilités