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qui se brisèrent l’un contre l’autre en menue poussière, sous laquelle s’ensevelirent enfin de rares combattans exténués, qui moururent sans laisser de successeurs.

La patristique cependant devait revivre, mais sous d’autres formes et au souffle d’un esprit nouveau. La critique moderne, semblable à ce hardi pèlerin du conte arabe qui, sourd aux insultes et aux menaces des sombres djinns, marche sans se détourner à la conquête des trésors promis à son courage, voit, à mesure qu’elle avance, la vie revenir dans ces blocs énormes qu’on eût dits condamnés pour toujours à l’immobilité de la mort. Ce sont de nouveau des hommes qui respirent, qui parlent, qui vivent. Une seule chose a fait ce miracle, l’indépendance vis-à-vis des traditions dogmatiques, cette indépendance vraie qui n’est ni l’adoration, ni la haine, qui aime ces traditions sans s’y asservir et les critique sans les dénigrer, car on n’est vraiment indépendant ni de ce qu’on adore, ni de ce qu’on déteste. À sa suite, le sens historique est venu, et avec lui une nouvelle manière d’envisager les hommes et les choses d’autrefois, j’entends par là le besoin de les considérer dans leur originalité, dans leur vie propre, non plus comme des abstractions plus ou moins façonnées à notre image, et d’en saisir les élémens caractéristiques en faisant ressortir ce qui les distingue de nos idées et de nos sentimens modernes. C’est l’Allemagne qui nous a donné l’exemple ici comme sur tant d’autres domaines, de la science religieuse. Tertullien, l’une des figures les plus originales du panthéon ecclésiastique, peut nous servir de spécimen intéressant, donnant une idée de cette patristique renouvelée par les méthodes récentes[1]. Sa vie, ses œuvres, ses tendances personnelles, sa théologie particulière, ses ardentes sympathies pour ce curieux mouvement montaniste du second siècle, qui, lui aussi, s’éclaire d’un jour tout nouveau à la lueur des dernières recherches, tels sont les objets dont nous allons parler.


I

Quintus Septimius Florens Tertullianus naquit à Carthage vers l’an 160 de notre ère. Son père, un centurion romain au service du proconsul d’Afrique, lui fit donner une instruction soignée. On le voit, dans ses écrits, dont la liste est longue, faire preuve, sinon d’une critique judicieuse, du moins de connaissances nombreuses pour le temps en histoire, en jurisprudence, en philosophie et en

  1. Les travaux auxquels nous faisons allusion, et qui nous ont servi dans cette étude, sont un ouvrage du vénérable Neander et un bon article de la colossale Encyclopédie théologique, dont M. le professeur Herzog dirige la publication depuis une dizaine d’années avec des alternatives de réussite et d’insuccès.