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du calme et de la paix ; , mais c’étaient aussi des citoyens très actifs, des politiques résolus, de vaillans soldats qui défendaient courageusement leur pays contre les factieux et contre l’étranger. Ils se montrèrent dans leur vie occupée, capables de toutes les affaires et à la hauteur de toutes les situations. Scævola l’augure, quand Cicéron l’a connu, était encore, malgré son âge, un vieillard vigoureux, qui se levait au petit jour pour répondre à ses cliens de la campagne. Il arrivait le premier à la curie, et il avait toujours sur lui quelque livre qu’il lisait pour ne pas rester désœuvré en attendant ses collègues ; mais le jour où Saturninus menaça le repos public, ce savant qui aimait tant l’étude, ce vieillard infirme qui se soutenait à peine et ne pouvait se servir que d’un bras, arma ce bras d’un javelot et marcha en tête du peuple à l’assaut du Capitale. Scævola le pontife n’était pas seulement un habile jurisconsulte, c’était aussi un administrateur intègre dont l’Asie n’oublia jamais le souvenir. Quand les publicains attaquèrent son questeur Rutilius Rufus, coupable d’avoir voulu les empêcher de ruiner la province, il le défendit avec une éloquence admirable et une vigueur qu’aucune menace ne put ébranler. Il refusa de quitter Rome au moment des premières proscriptions, et d’abandonner ses cliens et ses affaires, quoiqu’il sût le sort qui l’attendait. Blessé aux funérailles de Marius, il fut achevé, quelques jours plus tard, près du temple de Vesta. Du reste, ces hommes-là n’étaient pas une exception à Rome. Dans les beaux temps de la république, le citoyen complet devait être à la fois agriculteur, soldat, administrateur, financier, avocat et même jurisconsulte. Il n’y avait pas de spécialités alors, et d’un vieux Romain nous serions forcés de faire aujourd’hui quatre ou cinq personnages différens ; mais à l’époque où nous sommes parvenus, ce faisceau d’aptitudes diverses qu’on exigeait d’un seul homme se brise : chacun se cantonne dans une science spéciale, et l’on commence à distinguer les hommes d’étude des hommes d’action. Était-ce que les caractères perdaient leur trempe énergique, ou faut-il croire seulement que depuis qu’on connaissait et qu’on pratiquait les chefs-d’œuvre de la Grèce, chaque science étant devenue plus compliquée, le fardeau de toutes réunies ne fût plus possible à porter ? Quoi qu’il en soit, si Sulpitius était au-dessus des Scævola comme jurisconsulte, il était loin d’avoir leur fermeté comme citoyen. Préteur ou consul, ce ne fut jamais qu’un homme d’étude et de cabinet. Dans les circonstances qui demandent de la résolution, toutes les fois qu’il faut se décider et agir, il est mal à son aise. On sent que cet esprit honnête et doux n’était pas fait pour être le premier magistrat d’une république en révolution. La manie qu’il avait de jouer toujours son rôle de conciliateur