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avait paru d’abord aussi ferme que Nigidius, et il s’était fait remarquer comme lui par son ardeur républicaine. Non content de prendre les armes contre César, il l’avait encore insulté dans un pamphlet, au commencement de la guerre ; mais il était aussi faible que violent, il ne put pas supporter l’exil. Cet homme léger et mondain avait besoin des plaisirs de Rome, et il se désolait d’en être privé. Pour obtenir sa grâce, il imagina d’écrire un nouvel ouvrage destiné à contredire l’ancien et à en effacer le mauvais effet. Il l’avait appelé ses Plaintes, et ce titre indique assez quel en était le caractère. Il y prodiguait sans mesure les éloges à César, et cependant il craignait toujours de n’en avoir pas dit assez. « Je frémis de tous mes membres, s’écriait-il, quand je me demande s’il en sera content. » Tant d’humiliations et de bassesse finirent par toucher le vainqueur, et tandis qu’il laissait impitoyablement mourir en exil l’énergique Nigidius, qui ne savait pas flatter, il permettait à Cæcina de se rapprocher de l’Italie et de s’établir en Sicile.

Cicéron s’était fait le consolateur de tous ces exilés, et il employait son crédit à rendre leur condition meilleure : il les servit tous avec le même dévouement, quoiqu’il y en eût parmi eux dont il avait à se plaindre ; mais il ne se souvenait plus de leurs torts dès qu’il les voyait malheureux. Il mettait une habileté touchante, en leur écrivant, à accommoder son langage à leur situation ou à leurs sentimens, se souciant peu d’être d’accord avec lui-même, pourvu qu’il pût les consoler et leur être utile. Après avoir dit à ceux qui se lamentaient d’être éloignés de Rome qu’ils avaient tort de vouloir y revenir, et qu’il vaut mieux entendre seulement parler des malheurs de la république que de les voir de ses yeux, il écrivait tout le contraire à ceux qui supportaient trop courageusement l’exil, et qui ne voulaient pas, au grand désespoir de leur famille, demander leur rappel. Quand il rencontrait un empressement trop servile à prévenir et à provoquer les bontés de César, il n’hésitait pas à le blâmer, et, avec des ménagemens infinis, il rappelait au respect de lui-même le malheureux qui l’oubliait. S’il voyait au contraire qu’on fût disposé à commettre quelque héroïque imprudence et à tenter, sans profit pour personne, un coup d’éclat dangereux, il s’empressait de retenir cet élan de courage inutile et prêchait la prudence et la résignation. Pendant ce temps il n’épargnait pas ses peines. Il allait trouver les amis du maître, ou, s’il en était besoin, il essayait de voir le maître lui-même, quoiqu’il fût bien difficile d’aborder un homme sur lequel retombaient les affaires du monde entier. Il priait, il promettait, il fatiguait de ses supplications, et presque toujours il finissait par réussir, car César tenait à l’engager de plus en plus dans son parti par les faveurs