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primitive se feront eux-mêmes un devoir d’en demander la suppression.

Ce que nous disons là, avant l’apparition de la brochure on l’aurait taxé de chimère. On nous aurait dit : « Ces dangers n’existent que dans votre esprit ; personne ne veut détruire notre école de Rome ; on veut la réformer, voilà tout. » Mais la brochure est là, explicite, sincère, sans réticences, sans faux-fuyans : or nous venons de voir quelle sorte de réforme elle se promet de pratiquer ! Et l’auteur, notez bien, n’est pas un téméraire, l’enfant perdu de son parti, il en est un des chefs les plus habiles, les plus autorisés. Il veut la liberté des arts, il la veut, selon nous, hors des limites du possible, et s’en promet des résultats que nous croyons imaginaires ; mais, ses idées étant données, les conséquences qu’il en tire sont logiquement inattaquables. Il pose nettement la question. Selon lui, il n’y a que deux systèmes, et non pas trois : le sien, la liberté complète, l’abstention absolue de toute autorité en matière d’art, et le système académique plus ou moins mitigé, corrigé, rajeuni. Quant au troisième, le système officiel, cette combinaison qu’on essaie aujourd’hui, le libéralisme en paroles et la dictature en action, il le déclare, non sans raison, le pire de tous et le plus dangereux. Il faut opter, dit-il, entre nous et l’Académie. Le décret de novembre a été fait de concert avec nous, sous notre inspiration ; il a pour base nos idées : il faut que nos idées en sortent triomphantes, ou le décret n’a plus de sens. Point de milieu, la réforme telle que nous l’entendons, c’est-à-dire table rase, ou l’école de-Rome sous la tutelle académique. Ce qu’il renie, ce qu’il repousse comme une cause incessante de tiraillemens, d’incertitudes, de défiance, et partant de stérilité pour les arts, c’est cette prétention de mêler et de fondre les principes novateurs du décret et les concessions rétrogrades qu’on s’est laissé surprendre, — amalgame impossible, selon lui, et d’où ne peut sortir qu’une situation plus triste et plus terne encore que celle dont le décret devait nous délivrer.

Devant ce manifeste d’un allié, d’un collaborateur, d’autres diront peut-être d’un transfuge, que va faire M. le ministre des beaux-arts ? Nous ne supposons pas qu’il soit d’humeur à mettre bas les armes ; nous le croyons peu disposé à rapporter, sur cette sommation, son règlement du 14 janvier, et ce n’est pas encore lui, ce nous semble, qui aura le courage d’établir un hospice dans le palais du Monte-Pincio. Ces injonctions un peu superbes l’étonnent assurément, et nous aimons à croire que si l’auteur de la brochure avait, avant le 13 novembre, pris avec lui ces mêmes libertés et lui avait tenu un langage aussi clair, le célèbre décret n’aurait pas vu le jour. Cette aventure est celle de tout gouvernement qui se hasarde à ce