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sommités du barreau, ne mettant point en avant le nom et la responsabilité morale de ses membres, représentée par la collectivité et non par l’individualité des juges, soit réellement en mesure de nous faire un droit coutumier politique. Elle n’a certes point cette ambition, et nous ne voyons pas qu’il soit utile de lui imposer cette tâche. Que gagne-t-on à mettre en présence et en balance vis-à-vis de l’opinion en matière politique l’arrêt d’une cour, qui n’est guère pour le public qu’une chose abstraite, et les opinions concordantes éloquemment motivées, prononcées avec éclat, d’une réunion d’avocats tels que MM. Berryer, Dufaure, Jules Favre, qui ont grandi sous les yeux de tous non-seulement dans l’interprétation et la défense du droit, mais au milieu des épreuves de la vie politique que la France contemporaine a traversées avec eux et souvent sous leur conduite ?

Si donc il était vrai que la législation positive, le droit coutumier au sujet du droit d’association ne coïncidassent point avec la nature et les exigences du suffrage universel, c’est la législation antérieure qui devrait céder le pas à la souveraineté du droit électoral ; ce serait un contre-sens que de subordonner à des lois secondaires, émanées de systèmes de gouvernement abolis, le principe supérieur de la constitution présente. On peut juger d’un mot la tendance qu’indique le procès des treize. Il est évident que, si l’on voulait aujourd’hui régler par une loi particulière et précise le droit d’association dans ses rapports avec le droit électoral, il serait impossible d’insérer dans une telle loi rédigée en présence et sous l’empire du suffrage universel les restrictions et les interdictions que l’on prétend tirer des lois de 1810 et de 1834. Le dessein seul d’une pareille tentative serait confondu d’avance par cette logique du langage qui est l’expression invincible de la droiture des idées, par ce simple bon sens qui portait déjà les auteurs de la loi de 1834 à excepter dans leurs déclarations les comités électoraux des interdictions qui frappaient les associations de plus de vingt membres. Pourquoi donc essaie-t-on de faire indirectement ce qu’on n’aurait seulement pas l’idée d’entreprendre directement par la présentation d’un projet de loi explicite ? Pourquoi introduit-on une contradiction et un contre-sens entre les attributs nécessaires du suffrage universel et une jurisprudence dérivée pour la première fois d’une législation vieillie ? Il n’est point surprenant que nous ayons des lois incompatibles avec le suffrage universel, car la plupart de nos lois sont anciennes, et le suffrage universel est récent ; mais ce qui serait prodigieux, ce qui mettrait dans les idées une confusion intolérable pour le bon sens et la conscience d’un peuple, c’est que dans ce conflit, ce fût le suffrage universel, la liberté électorale qui en découle, qui eussent le dessous.

Nous voudrions ne voir dans ce fâcheux incident du procès des treize qu’une incohérence résultant des tendances diverses auxquelles tout gouvernement est soumis, et non l’effort d’une politique systématique. Que