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côté on ambitionne la liberté du commerce, c’est au gouvernement qu’on s’adresse, et on n’a point de scrupule de convertir les protectionistes par les procédés que Charlemagne employait pour baptiser les Saxons. Si de l’autre on rêve le succès de grandes combinaisons et spéculations financières, c’est le salut de l’empire, c’est la pensée du règne qu’on invoquera. Le plus désintéressé de l’école, M. Charles Duveyrier par exemple, lequel ne songe qu’au progrès, au bien-être des masses, veut aussi l’obtenir par le pouvoir et n’hésite point, si le bonheur du peuple lui semble devoir être acheté à ce prix, à révéler au pouvoir le secret de la fondation des dynasties. Voilà donc des esprits dont la sagacité sur plus d’un point est incontestable, et qui ont cet avantage, quand ils adressent la parole au gouvernement, d’être à l’abri des fins de non-recevoir dédaigneuses par lesquelles on croit devoir fermer la bouche à la catégorie déshéritée des suspects. L’incontestable candeur de l’auteur de l’Avenir et les Bonaparte est le principal agrément de ce livre. M. Duveyrier recherche les conditions auxquelles peut se fonder la dynastie des Bonaparte avec le sang-froid et la bonne foi qu’il mettrait à discuter une thèse d’histoire. Son dernier mot, au bout de mille considérations ingénieuses, c’est que la dynastie ne sera fondée que si elle sauvegarde à la fois les intérêts de la bourgeoisie et du peuple : ceux de la première en lui rendant promptement la liberté politique et parlementaire, ceux du second en organisant la démocratie.

Pour notre compte, nous n’aimons point cette distinction de classes à laquelle se complaisent les écoles socialistes. Il n’est que juste pourtant de reconnaître que cette distinction de classes, qui a été dans nos luttes politiques le prétexte et le mot d’ordre d’antagonismes si funestes, n’est point le fait des seules écoles socialistes. L’abus des routines historiques et des formules scolastiques appliquées à la politique avait égaré dans une erreur semblable une portion de l’école libérale. Ceux qui ont affecté chez nous de parler de l’avènement des classes moyennes et de revendiquer pour ces classes la prépondérance politique et le monopole du gouvernement, ont commis une irréparable faute, expiée par une révolution. Si la révolution de février a donné à la France une leçon, il nous semble que c’est celle-ci : il ne faut plus établir la politique sur des distinctions, des rivalités, des antagonismes de classes. Une politique de classes, qu’elle vînt du côté conservateur ou du côté révolutionnaire, ne serait plus aujourd’hui qu’une conception rétrograde, insensée, odieuse. Il n’y a que l’absolutisme qui ait intérêt à conserver de telles distinctions dans le grossier espoir de prolonger d’absurdes malentendus, de faire peur à la bourgeoisie des passions populaires de faire croire au peuple que les classes conservatrices sont opposées à son avancement, de gagner la clientèle de ces deux intérêts grâce à cette double méprise. La politique de classes ne saurait plus être qu’un mensonge soutenu pour ruiner la liberté et dégrader la démocratie.