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ne fût antérieur de près de mille ans à Nestorius, de cinq siècles et demi à Jésus-Christ, de plus de deux siècles à la fondation d’Alexandrie et de cinquante ans à l’établissement de la république à Rome.

Nous avons indiqué le caractère dominant du bouddhisme, né d’une révolution dans les mœurs et non d’un changement radical dans les doctrines. C’est à ce point de vue que la science doit se placer pour apprécier la portée de cette grande religion. Quoique la métaphysique forme une des trois parties de la collection des écritures bouddhiques connue sous le nom de Triptiaka, on ne serait pas plus juste à l’égard du bouddhisme, si on le jugeait à ce seul point de vue, qu’on ne le serait pour le christianisme, si l’on négligeait l’action morale et civilisatrice qu’il exerce depuis sa naissance. La théorie du nirvâna, dont on a fait la question bouddhique par excellence[1], appartenait aux brahmanes longtemps avant la venue de Çâkyamuni : elle est donc secondaire ; mais il n’en est pas de même des règles de mœurs introduites par le bouddhisme, de la pureté morale, de l’humilité et de la charité universelle qui en sont les préceptes fondamentaux. Le succès qu’il a obtenu hors de l’Inde chez les peuples jaunes et dans l’Océanie, les longs rameaux qu’il a jetés vers l’Occident jusque dans le monde grec, et par l’Océan oriental jusque dans l’ancien Mexique, ne s’expliquent que par la transformation morale qui émane de lui. Son expulsion hors de l’Inde a eu pour cause l’égalité qu’il établissait entre les brahmanes et les autres castes, le droit qu’il donnait à tous les hommes d’aspirer à la fonction sacerdotale et d’y parvenir.

Du reste, toute la morale du bouddhisme provient de sa métaphysique, dont elle n’était qu’une application nouvelle. Cette métaphysique, c’est le panthéisme, conçu sous sa forme la plus absolue et comprenant tous les êtres réels ou idéaux dans une hiérarchie où l’homme peut occuper des degrés différens selon sa science et sa vertu. Ces deux qualités ne sont point présentées arbitrairement comme celles d’où émanent les caractères qui distinguent légitimement les hommes entre eux : la théorie bouddhique ne s’y est arrêtée qu’après des analyses psychologiques et des considérations d’esthétique que les philosophes de l’Europe n’ont point surpassées. C’est de là que dérivent toutes les conséquences pratiques qui font du bouddhisme une des religions qui exercent sur les âmes l’action morale la plus énergique. À mesure que les indianistes pénètrent plus avant dans la connaissance de l’Orient, ils découvrent des liens nouveaux rattachant la morale du bouddhisme à sa métaphysique, et celle-ci aux théories brahmaniques qui l’avaient précédée. Au point où la science est parvenue, on doit considérer que la religion

  1. Voyez le Bouddha et sa doctrine, de M. Barthélémy Saint-Hilaire.