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Le lien si élastique et néanmoins si solide qui rattache l’Australie à l’Angleterre ira sans doute en se relâchant de plus en plus à mesure que les nouveaux états trouveront en eux-mêmes de plus amples ressources. L’ingérence de la métropole dans le gouvernement des colonies australes sera de moins en moins justifiée; mais on ne peut prévoir encore que ce lien doive être rompu tout à fait. Le jour où ces colonies ne trouveraient plus à Londres un aréopage bienveillant et désintéressé qui tranche leurs différends intérieurs avec une sollicitude paternelle et règle avec impartialité leurs rapports de voisinage, elles ne tarderaient pas à s’organiser en fédération. Or il y a maintenant entre les diverses provinces une jalousie, une rivalité qui ne peut laisser place à une alliance intime. Les luttes intestines qui ont précédé le morcellement des territoires sont encore trop vivaces. Deux grandes cités, Melbourne et Sydney, exercent une influence incontestable sur la région qui les avoisine : ce sont les entrepôts du commerce, les centres de l’industrie, les flambeaux de la civilisation naissante; mais ni l’une ni l’autre ne peut prétendre à être la capitale du continent entier. D’abord les considérations géographiques s’y opposent; puis Sydney s’arroge la suprématie en vertu de son ancienneté, Melbourne en raison des richesses infinies que les mines d’or lui procurent. Les autres chefs-lieux de province sont si fiers de leur indépendance qu’ils n’accepteront jamais la prééminence de l’une ou de l’autre de ces capitales. Sous le lien fédéral, on aurait toujours la crainte de voir renaître la centralisation du pouvoir, que l’on a voulu détruire, et s’effacer le gouvernement local (self-government), auquel on attache tant de prix. Pour rapprocher ces membres épars d’un grand continent, il faudrait un danger commun, et surtout que ce danger vînt de l’Angleterre. Rien ne fait présager que cette occasion se présentera.

Cependant une union plus intime des diverses provinces paraît bien désirable dès à présent. Les tarifs douaniers, qui changent d’un pays à l’autre et qui n’ont de fixité nulle part, les relations postales, l’organisation des banques, auraient besoin d’être réglés par une entente commune. Un député du corps législatif de Melbourne avait proposé, il y a sept ans, que les quatre provinces nommassent une assemblée générale de délégués qui auraient pouvoir de légiférer les tarifs intercoloniaux, de trancher les questions de tracé de routes et de chemins de fer, d’établir sur un mode uniforme le service postal et les phares, enfin d’assurer l’exécution des travaux qu’elle aurait votés au moyen d’une taxe proportionnelle au budget particulier de chaque état. Ce projet n’ayant pas abouti, les gouvernemens voisins n’ont d’autre moyen de s’entendre que dans