Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le néant, toutes les réalités que perçoit la conscience et que conçoit la raison. Impuissante à donner au philosophe le secret de sa propre nature, elle peut bien moins encore lui apprendre quelque chose de la nature des êtres qui ne sont ni lui ni son semblable, et qu’il ne concevra jamais qu’à l’image de lui-même, tantôt diminuée, tantôt agrandie jusqu’à l’infini. Aussi qu’arrive-t-il aujourd’hui? Les hommes éminens qui traitent leur sens intime et leur raison comme de faux témoins, et qui leur imposent silence, ne trouvant plus ni en eux-mêmes ni au dehors aucune voix qui leur parle de la cause, de la substance, de Dieu, prennent le parti de reléguer ces objets de la pensée parmi les chimères et les illusions. Et voilà toute métaphysique niée! Mais attendez : nul n’a le pouvoir magique d’anéantir d’un trait de plume la moitié, pour le moins, de ce qui est. L’instinct métaphysique, pendant quelque temps comprimé, se redresse un jour et prend sa revanche. La métaphysique, moquée et chassée par les uns, supprimée par les autres, revient à l’improviste : elle envahit de tous côtés les systèmes qui avaient prétendu s’en passer. Tel dit en haut d’une certaine page que l’homme n’est ni corps ni esprit, ni la réunion d’un corps et d’un esprit, et six lignes plus loin il écrit que la matière veut et agit, et qu’elle se manifeste comme pensée. N’est-ce pas rétablir en d’autres termes le corps que l’on a nié tout à l’heure, et en faire le sujet métaphysique et aussi la cause de la volonté, de l’action et de la pensée? Seulement cette métaphysique manque du seul appui qui puisse la fonder, l’expérience, car l’expérience affirme que l’esprit est indivisible, et que la pensée est autre chose qu’une manifestation supérieure de la matière.

Ces inconséquences, ces contradictions, auxquelles sont exposées les intelligences les plus sérieuses et les plus sincères quand elles dédaignent les procédés de l’analyse psychologique, ou qu’elles refusent d’épuiser l’énergie de ces procédés, seraient, à elles seules, un grave motif de cultiver avec une ardeur croissante la science de l’esprit. La solidité des principaux résultats auxquels cette science est parvenue en est une raison bien plus grave encore. Nous croyons avoir montré, en comparant les écrits et les argumens des écoles rivales, que les assises fondamentales de la science psychologique, qui sont la base de la philosophie elle-même, demeurent, même après des attaques redoublées, debout et intactes. Bien d’autres vérités, élevées sur celles-là, n’ont pas été non plus entamées. Ce n’est pas tout : les adversaires du spiritualisme admettent de leur plein gré ou sont entraînés à admettre en dépit d’eux-mêmes les faits de la vie interne et la méthode par laquelle ces faits sont connus et classés. Enfin, et un tel symptôme est à noter, très peu